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lY THOMAS WELTON STANFOn
LE
LANGAGE MARTIEN
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LANGAGE MARTIEN
ÉTUDE ANALYTIQUE
DE LÀ GEI>TÈSE D'UISTE LÀN^GUE
DANS UN CAS DE GLOSSOLAUE ^
VICTOR HENRY
PARIS
J. MAISONNEUVE, LIBRAIRE-ÉDITEUR
T RUE MADAME, ,
1901
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CHALON-SUR-SAÔNE, IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE, E. BERTRAND
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PRÉFACE
« L'application de la méthode pathologique à la
m
psychologie, écrit M. Th. Ribot',na pas besoin d'être
légitimée ; elle a fait ses preuves. Les résultats acquis
sont trop nombreux et trop connus pour qu'il y ait
besoin de les énumérer. Cette méthode, en effet, a
deux principaux avantages : V elle est un instrument
de grossissement ; elle amplifie le phénomène normal ;
l'hallucination fait mieux comprendre l'image, et la
suggestion hypnotique éclaire la suggestion qui se
rencontre dans la vie ordinaire; 2® elle est un instru-
ment précieux d'analyse... »
C'est sous le couvert de cette imposante autorité que
je me permets de placer les pages qu'on va lire.
Etant admis d'après ces prémisses que le langage créé
par une glossolale doit reproduire et nous permettre
de saisir avec la netteté qui résulte de Tob.servation
directe les procédés inconscients et subconscients du
langage normal, quel était le meilleur moyen de tirer
1. La Psycliolofiic clet< Senti nientt< (Paris, Alcaii, 1896), p. 62.
VI
parti des documents linguistiques consignés dans le
curieux ouvrage de M. Flournoy ?
J'aurais pu, évidemment, ne donner aucune place à
rhypothèse, écarter d'emblée tous les mots d'étymo-
logie obscure ou douteuse, me taire partout où je
n'avais pas le droit d'affirmer, me borner, en un mot,
à mettre en relief les rapprochements frappants et
sûrs entre le martien et telle ou telle autre langue
réellement existante. Mais, outre qu'alors mon étude
eût été presque inutile, puisqu'elle n'aurait rien con-
tenu que tout lecteur de M. Flournoy n'eût pu re-
marquer de lui-même avec un peu d'attention, elle
aurait mérité par ailleurs le reproche d'insincérité ;
incomplète tout au moins, elle n'eût pas été con-
cluante. Une langue, quelle qu'elle soit, est un en-
semble: on ne l'explique pas en en détachant quelques
mots faciles et jetant tous les autres a;ux gémonies ;
il faut, surtout en matière aussi délicate et inexplorée,
que la donnée certaine et la conjecture s'entrelacent,
s'étaient et se contrôlent perpétuellement l'unel'autre,
et je dirais volontiers que la première est sans valeur
si la seconde ne lui sert de correctif et de repoussoir.
De même donc jque M. .Flournoy nous a donné inté-
gralement, sans choix, les quarante phrases mar-
tiennes qu'il a recueillies de la bouche de M"® Smith,
de même et comme lui, je me suis cru autorisé, —
je dis plus, — obligé, du moment que je tentais l'en-
treprise, à passer au crible, sans exception ni réserve,
les 300 mots dont ces phrases m'avaient permis de
dresser le répertoire.
VII
J'y ai été encouragé surtout par Taccueil qu'il a fait
à mes premiers essais d'interprétation, quand je les
lui ai communiqués à titre privé ; car je ne m'aventurais
pas sans hésitation sur un terrain si nouveau pour moi
et pour tout le monde. Je ne saurais assez dire la
franche cordialité, la confraternelle estime et la bonne
grâce que m'a témoignées dès l'abord Téminent psy-
chologue, soit qu'il me donnât à entendre que telle
de mes analyses linguistiques confirmait une de ses
thèses favorites sur la pensée et le rêve, soit qu'il me
fournît, libéralement et sans compter, les informations
de fait sur le cas de M^^® Smith. Quelques-unes de
celles-ci ont trouvé place dans des notes complémen-
taires à la fin du volume. Quant aux conclusions qu'il
a pu éventuellement tirer de mes induptions ou cer-
taines ou hypothétiques, je lui laisserai le soin de les
formuler, et ainsi chacun de nous demeurera dans son
rôle.
Ce ne sont pas là les seules obligations que j'ai à
M. Flôurnoy. Il a bien voulu, pour la commodité de
mes lecteurs, m'autoriser à reproduire en tète de mon
livre les 40 phrases martiennes consignées dans le sien,
pp. 204-223. Les voici, dans leur ordre chronologique,
avec la traduction donnée par le sujet, et les indications
accessoires qui permettront d'en apprécier la valeur
respective.
1. Métiche CMédache C Métaganiche S, Kintche,
Monsieur C. Madame C. Mademoiselle S. Quatre.
(Vocal, 2 février 1896.)
I ■
\
VIII
2. Dodé né ci haudan téjness mëtiche Astané ké de
Ceci est la maison du grand homme Astané que tu
mé veche,
as vu.
(Auditif, vers le 20 septembre 1896, traduit le 2 novembre.)
3. Mode inéy ce di cévouitche ni êvé ché kiné Liné,
Mère adorée, je te reconnais et suis ton petit Linet.
(Vocal, 8 novembre 1896, traduit môme jour.)
4. Imodé, méié ynodé, mode inë, palette is ché
O mère, tendre mère, mère bien-aimée, calme tout ton
péliché, ché chiré né ci ten ti vi,
souci, ton fils est près de toi.
(Vocal, 29 novembre 1896, traduit même jour.)
5. / kiché ten ti si ké di êvé dé étéche,
Oh! pourquoi près de moi ne te tiens-tu toujours,
mené izé hénézéef
amie enfin retrouvée ?
(Auditif, 4 décembre 1896, traduit 13 décembre.)
^^^ __ m
6. Ti iche cêné Espênié ni ti êzi atèv As-
De notre belle « Espênié » et de mon être As-
tané, êzi érié vizé é vi.,, /, etc. (le reste
tané, mon âme descend à toi... Oh ! etc. comme en 5.)
7. Ce êvé plêva ti di bénéz éssat riz tes midée
Je suis chagrin de te retrouver vivant sur cette laide
durée: ce ténassé riz iche Espênié vétéche ié ché
terre; je voudrais sur notre « Espênié » voir tout ton
atèv hêné ni pové ten ti si; éni zée métické oné
être s'élever et rester près de moi ; ici les hommes sont
gudë ni zée darié grève,
bons et les cœurs larges.
(Auditif, 15 décembre 1896, traduit 17 janvier 1897,)
8. Ajnès jnis tensëe ladê s/, amès ten tivé avë
Viens un instant vers moi, viens près d'un vieil
fiien, koumé ié ché pélésse ; amès somé iêsé misaïmë,
ami, fondre tout ton chagrin ; viens admirer ces fleurs,
ké dé siirès pit chdmi^ izà meta il borêsë ti fi-
que tu crois sans parfum, mais pourtant si pleines de sen-
naïiné,.. Izà il, dé séïmiré!
teurs. . . Mais si, tu comprendras!
(Auditif et vocal, 31 janvier î897, traduit même jour.)
9. Ané éni ké érédutè ce ilassuné té imà ni
'C'est ici que solitaire je m'approche du ciel et
hétiné chée durée,
.regarde ta terre.
(Auditif, 24 février 1897, trad. 14 mars.)
10. Simandini, lé làmi, mené! Kizé pavi! kiz
Simandini, me voici, amie! Quelle joie! quel
atimi!
bonheur !
(Auditif, 14 mars 1897, traduit même jour.)
11. / mode, duméïné mode, kèvi ce moche povini
O mère, ancienne mère, quand je peux arriver
poénêzé mûné é vl, saline ézinè mimd Nikaïné,
quelques instants vers toi, j'oublie mes parents Nikaïné,
mode. — / ynen!
mère. — O ami !
(Vocal, 14 mars 1897, trad. m. j.)
12. Lassuné, ké nipuné ani; tiz dé machiv miricé
Approche, ne crains pas ; bientôt tu pourras tracer
iche manir, se dé é venir toué chi amiché. zé
notre écriture, et tu posséderas dans tes mains les
forimé ti viche tarviné.
marques de notre langage.
(Auditif, 23 mai 1897, trad. m. j.)
13. Adèl, ané sini yestad... I Astané^ ce Jimès!
c'est vous O Astané, je meurs!
Astane^ mira!
Astané, adieu! -
(Vocal, même jour que 12.)
- 1*4. Eupié, zé pâlir né aîné : arvà nini pédriné ;
Eupié, le temps est venu : Arvâ (?) nous quitte :
évaï divine làniée ine vinâ té luné, — Pouzé^
sois heureux jusque au retour du jour. — Pouzé,
men hantiné, êzi craïni né touzé med vi ni, ché
ami fidèle, mon désir est même pour toi et ton
chiré Saïné. Ké zalizé téassé mianiné ni di
fils Saïné. Que l'élément entier t'enveloppe et te
daziné! — Eupié! — Pouzé!
garde ! — Eupié ! — Pouzé !
(Auditif, 18 juin 1897, traduit 20 juin.)
15 . Mode tatinée, ce ké mâche radziré zé tarvini
Mère chérie, je ne puis prononcer le langage
va nini nini triménêni ii adzi. Ce zé séïmiré
où nous nous comprenions si bien. Je le comprends
vétiche, I mode inée^ kévi bérimir-jn- hedf kévi
cependant. O mère adorée, quand reviendra- 1- il? quand
machiri ce di triné ii éstotiné ni bazée animinaf
pourrai-je te parler, de ma dernière et courte existence?
/ mode, ce méï adzi ilinée, i mode inée, ce ké lé
O mère, je t*ai bien reconnue, ô mère adorée, je ne me
nazère ani! Mira, mode itatinée^ mira, mirà^ mira!
trompe pas ! Adieu, mère chérie, adieu, adieu, adieu !
(Auditif, 27 juin 1897, trad. même jour.)
16. Astané. Esendle. Pouzé, Mené Simandini, mira.
(Visuel et graphique, 21 août 1897 : mené « amie », mira « adieu »,
et quatre noms propres.)
XI
17. Taniré mis méch med mirioe êzlnè brimai ti
Prends un crayon pour tracer mes paroles de
tes tensée, Azini dé améir mazi si sorné iche
cet instant. Alors tu viendras avec moi admirer notre
nazina tranéi, — Simandini, ce kié mâche di pédriné
nouveau passage. — Simandini, je ne puis te quitter
tes luné, Ké ce êoé divine f — Patrinèz kié nipuné
ce jour. Que je suis heureux ! — Alors ne crains
ani,
pas.
(Graphique, 12 septembre 1897, trad. m. ].)
IS. Mode tatinée, làmi mis mira ti ché higd kâ
Mère chérie, voici un adieu de ton enfant qui
éhrinié sanà é vi. Idé di zé rénir, — zé moss métiche
pense tant à toi. On te le portera, — le grand homme
kâ é zé valini iminé ni z(é) grani sidiné.
qui a le visage mince et le corps maigre.
(Auditif, puis graphique, 10 octobre 1897, trad. m(5me jour.)
19. M(èné), ce kié mâche di triné sandiné téri né
Amie, je ne puis te parler longtemps comme est
êzi vraïni; zou réch ; mira mité piri mira! '
mon désir; plus tard; adieu adieu!
(Graphique, puis auditif, 24 octobre 1897, deux mots non
traduits.)
20. Siké^ évaï divine! Zé niké crizi eapri né
Siké, sois heureux! Le petit oiseau noir est
amé orié àntéch é êzé carimi ni êzi érié é nié pavinée ;
venu frapper hier à ma fenêtre et mon âme a été joyeuse ;
hed lé sadri; dé zé véchir tiziné, — Matêmi,
il me chanta; tu le verras demain. — Matômi,
misaïmé kd lé umêz éssaté, arcâ ti éziué ndânii,
fleur qui me fais vivre, soleil de mes songes.
XII
amès tes ftn\ aînés sandiné ten il si; éoaï
viens ce soir, viens longtemps près de moi ; sois
dlvinée! — Bojné, va né Sikéf — Atrizi, ten té
heureuse! — Rome, où est Siké? — Là-bas, près du
taméch éplzi.
« taméche » rose.
(Auditif, puis graphique, 28 novembre 1897^ trad. m. j.)
21. Véchési têsée polluni, aoé métiche; é vi tl
Voyons cette question, vieux homme; à toi de
bounlé, séïmiré ni triné,
chercher, comprendre et parler.
(Auditif, 15 janvier 1898, trad. 13 février.)
22. Astané, ce aînés é vi; chée hrimi messe tévi
Astané, je viens à toi; ta sagesse grande comme
ché pocrimé lé...
ton savoir me. . .
(Auditif, vers le 25 janvier 1898, trad. 13 février.)
23. Paniné, évaï klrimé : se mlza ami grlni; ké
Paniné, sois prudent : le « miza » va soulever ; que
ohèe éméche rés pasé! — Pouzé, tés luné souminl,
ta main se retire! — Pouzé, ce jour riant,
arvà II cen, zé prlml tl ché clilré, klz pavl
Arva (?) si beau, le revoir de ton fils, quel heureux
luné! — Satnéy êzl chlré, Izé llnéï! klzé pavi! —
jour! — Saïné, mon fils, enfin debout! quelle joie! —
Êzl mané ni êzl mode,., — Tlzlné, êzl chlré. —
Mon père et ma mère... — Demain, mon fils. —
Êzl mané, ce êoé adl anâ.
Mon père, je suis bien maintenant.
(Auditif, 20 février 1898, trad. même jour.)
24. Saïné êzl chlré^ lée êzé pavl, ché vlnâ Ine
Saïné mon fils, toute ma joie, ton retour au
XIII
ruzzi ti nini né mis mess, assilé otimL,,
milieu de nous est un grand, immense bonheur...
itéche furimir,,, nori.
toujours aimera . . . jamais.
(Auditif, 11 mars 1898, trad. 21 août.)
25. Dé véchi ké ti éfi mervé éni.
Tu vois que de choses superbes ici.
(Auditif, 21 août 1898, trad. même jour.)
26. Astané né zé ten ti vi,
Astané est là près de toi,
(Visuel, 21 août 1898, tr. m. j.)
27. Siké, kiz cvizi hantiné! lied é ébrinié rès amèvé
S iké, quel oiseau fidèle! il a pensé se réunir
é nini, éssaté ti iche atimi, — Matêmi hantiné, hed
à nous, vivre de notre bonheur. — Matémi fidèle, il
né hantiné, êzi darié. — Siké, tes ousti ké zé
est fidèle, mon cœur. — Siké, ce bateau que le
badêni lassuné mazi trimazi, hed é ti zi mazêté é povinée
vent approche avec force, il a de la peine à arriver
é nini; zé pridni é fouminé ivraïni; idé é ti zi
à nous; le flot est puissant aujourd'hui; on a de la
mazêté é cizêné zé chodé,
peine à distinguer le « chodé )).
• (Auditif, vers le 4 septembre 1898, traduit 16 octobre.)
28. Men mess Astané, ce amès é vi itéch li
Ami grand Astané, je viens à toi toujours par
tes alizé néumi, assilé, kà ianiné êzi
cet élément mystérieux, immense, qui enveloppe mon
atèv ni lé tazié é vi med iéei éziné rabrii ni
être et me lance à toi pour toutes mes pensées et
XIV
tihral, Men^ amès di ouradé ké Matèmi uzénir
besoins. Ami, viens te souvenir que Matêmi attendra
chée kida, ni ké chée hrizi pi dézanir. Évaï
ta faveur, et que ta sagesse lui répondra. Sois
divine tes luné.
heureux ce jour.
(Visuel, 3 octobre 1898, traduit 16 octobre.)
29. Saziné, kiché nipunêzé? Dodé né pit léziré
Saziné, pourquoi craindre ? Ceci est sans souffrance
bèz neura. Evaï dastrée : firèzi zé bodri né
ni danger. Sois paisible : certainement le os est
dorimé^ zé pastri tubré né tuzé,
sain, le sang seul est malade.
(Auditif, 14 octobre 1898, traduit 16 octobre.)
' 30, Mode, ké hed oné chandêné, têsé mûné ten
Mère, que ils sont délicieux, ces moments près
ti vi ! — Bigâ, va bindié idé ii zàmé tensèe f
de toi ! — Enfant, où trouve on de meilleurs instants ?
zou réche méd ché atèv kiz fouminé zati!
plus tard pour ton être quel puissant souvenir!
(Auditif, 22 octobre 1898, traduit 18 décembre.)
31. Râmié, bisti ti Éspênié, ché dimé uni
Ramié, habitant de « Éspênié », ton semblable par
zi trimazi tié vadâza^, di anizié bana mirai, Ramié
la force des « vadàzas », te envoie trois adieux. Ramié
di trinir tié tournai ti bé animinâ ni tiche di
te parlera des charmes de sa existence et bientôt te
uzir nàmi ti Espênié. Evaï divinée.
dira beaucoup de « Espênié ». Sois heureuse .
(Graphique, 27 octobre 1898, irad. 18 décembre.)
32. Anà évaï maniké é bétiné mis
Maintenant sois attentive à regarder un
;
XV
Ué attanâ kâ di médinié, Bétinié tes tapie ni
des mondes qui te entourent. Regarde ce « tapie » et
bée atèv kavivé. Danda anâ.
ses êtres étranges. Silence maintenant.
(Auditif, 2 novembre 1898, trad. 18 décembre.)
33. Siriina nêbé vinià ti mis métiche ivre toué
Rameau vert nom de un homme sacré dans
viniâ ti misé higâ azâni maprinié imizi kramà
nom de une enfant mal entré sous panier
ziné vinià ti mis zaki datrinié tuzé vâmé gâmié,
bleu nom de un animal caché malade triste pleure.
(Phrase entendue d'abord en ultra- martien, puis traduite en mar-
tien le 18 décembre 1898^)
34. Ramié di pédrinié anâ, né ériné, divine
Ramié te quitte maintenant, est satisfait, heureux
té mûné ten ti vi, Hed dassinié mis ahadà ti
du moment près de toi. Il garde un peu de
ché atèv ni di parêzié hanâ mirâ^, Evat divinée,
ton être et te laisse trois adieux. Sois heureuse.
(Graphique, 2 novembre 1898, trad. 18 décembre.)
35. Attanâ zabiné, pi ten té iche; tarvini
Monde arriéré, très près du nôtre; langage
mabùré, nubé téri zée atèv. Astané, êzi dabé
grossier, curieux comme les êtres. Astané, mon maître
fouminé ni ié ti takâ, tubré né bibé ti zé
puissant et tout de pouvoir, seul est capable de le
umêzé,
faire.
(Auditif, 5 décembre 1898, trad. 18 décembre.)
1. J'ai omis le texte ultra-martien, qui n'a rien à voir à moa
étude et n'offre d'ailleurs nul intérêt. — La traduction (?) en français
a eu lieu le même jour. *
XVI
36. Aé aé aé aé lassunié, lâmi Rêzé, Aé aé
(Exclamations) approche, voici Rêzé. (Excla-
aé aé niké Bulié, Va né Ozâmiéf ZitênL
mations) petit Bulié. Où est Ozâmié? (Noms
PrimèhL Ozâmié ciniâ ii mis higà kémâ, Ziiêni
propres.) Ozâmié nom de un enfant mâle. Zitêni
vinià ti misé bigâ kêmisi. Primèni viniâ ti
nom de une enfant femelle. Primêni nom de
misé bigâ kêmisi.
une enfant femelle.
(Auditif, 8 mars 1899, traduit 4 juin.)
37. Astané bounié zé buzi ii di triné nâmi ni
Astané cherche le moyen de te parler beaucoup et
ti di umêzé séïmiré bi tarvini,
de te faire comprendre son langage.
(Graphique^ 24 mars 1899, traduit 4 juin.)
38. Fédié^ amès ; Ramié di uzénir tes luné;
Fédié, viens; Ramié te attendra ce jour;
amès, zé boua trinir.
viens, le , frère parlera.
(Visuel, 30 mars 1899, traduit 4 juin.)
39. Ramié^ ponde acâmi, andéliv téri antéch
Ramié, savant astronome, apparaîtra comme hier
iri é vi anâ. Riz vi banâ mirai
souvent à toi maintenant. Sur toi trois adieux
ti Ramié ni Astané, Evaï divinée,
de Ramié et Astané. Sois heureuse.
(Graphique, 1" avril 1899, trad. 4 juin.)
40. Ramié, ébanà, dizênâ, zicênié, ni bi
Ramié, lentement, profondément, étudie, et son
vratni assilé né ten ti rès kalâmé, Astané,
désir immense est près de se accomplir. Astané,
XVII
èzl dabé, né zi med lé godanê ni ankôné,
mon maître, est là pour me aider et réjouir.
Évaï hanâ zizazi dicinée.
Sois trois fois heureuse.
(Auditif, 4 juin 1899, trad. même jour\)
41. (Mots isolés.) — 42, Vinia tl mis métiché napié.
Nom de un homme mange.
Vinia ti mis crizi ruka té atimi ziné napié.
Nom de un oiseau emblème du bonheur bleu mange.
Naké j/in noka. Vinia ti misse médaché tiziné y in
Partir au repos. Nom de une dame demain au
haza kobié, Vinia ti misse varuba métiché té
lever tape. Nom de une divinité homme du
vinia ti ?nissé natra* ivre, Vinia ti misse médaché
nom de un bâton sacré. Nom de une dame
yin baza kobéniv. Niméké,
au lever tapera. Bienheureux.
(Traduction en martien, aussi inintelligible que le n" 33, d'une
séquence ultra-martienne"'.)
1. Ce sont là, outre quelques mots isolés qu'on trouvera en
leur lieu, les quarante textes qu'a publiés M. Flournoy et qui font
l'objet de la présente étude. Ceux qui suivent sont inédits: je ne les
ai pas compris dans mon examen, achevé avant qu'ils ne fussent
recueillis; mais, pour être complet, je les transcris ici avec son
autorisation. Il m'a également communiqué un petit vocabulaire
et des hiéroglyphes ultra- martiens, fort curieux, mais étrangers à
mon plaa, non moins que la langue uranienne, dont M"* Smith avait
annoncé la prochaine apparition, mais qui, à ma connaissance, gît
encore dans les limbes de son subconscient et ne parait pas devoir en
sortir.
2. Mistir signifiant « une », c'est ici le premier et unique exemple
d'un nom masculin en français qui soit féminin en martien.
3. Le même jour, M. Flournoy a obtenu la traduction des deux
mots laissés en blanc au n" 19: mile pi ri « vite encore ». Voir aux
additions finales.
XVIII
43. Yizé tarvini kié machinerie rès umaté; hed kié
Leur langage ne peut se écrire: ils ne
mévêzi ani téri nini tié forimi raka
ont pas comme nous des marques formant
tié zôda ; napiri hed mézouti tié Jorimi
des mots : cependant ils possèdent des marques
nubée tédora toué mis liza dénâpi yizé rahri.
curieuses exprimant dans un cas nécessaire leur pensée.
Ce di yani umêzir ipêné peunêzé misé^ imazé ti
Je te en ferai connaître quelques-unes, afin de
pastiné é ché vraïni, ni vati med kié ani di
complaire à ton désir, et surtout pour ne pas te
navazé mouda é tes attana, Evaï dicinée.
arrêter davantage à ce monde. Sois heureuse.
(Auditif, renseignements fournis par Ramié sur l'ultra-mar-
tîen : 23 avril 1900, traduit 27 mai.) »
44. (Hiéroglyphes ultra-martiens traduits en martien, et
du martien en français.)
Il suflSt de jeter un coup d'œil sur ces derniers
textes pour se convaincre que la langue martienne est
en voie de se pervertir et même de se jargonner. Il
était temps de la saisir, et elle était mûre pour l'exa-
men. Quoi que M^^* Smith puisse désormais produire
en ce genre, il est douteux que la psychologie et la lin-
guistique en tirent d'autres renseignements utiles que
ceux qu'on verra consignés ci-après, si toutefois je
n'ai failli moi-même à tirer de l'admirable documenta-
tion de M. Flournoy toutes les conclusions qu'elle
comporte et autorise.
Sceaux (Seine), le 3 mars 1901.
V. Henry.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Préface \ v
»
Table des matières xix
(1) Observations préliminaires 1
(2) Introduction "... 2
(3) § le^ — Position de la question 4
(4) § 2. — La méthode 9
(5) § 3. — Les matériaux 14
(10) Chapitre P'. — Les procédés du langage
martien 27
(11) § l'r. — Phonétique 28
(17) §2. —Dérivation 36
(18) § 3. — Grammaire 38
(23) § 4. — Syntaxe. 44
(24) § 5. — Sémantique 45
(26) Chapitre IL — Les noms propres 56
(29) Chapitre IlL — Les petits mots 64
(30) § 1er. __ Les articles 64
(32) § 2. — Pronoms personnels et pos-
sessifs 66
(33) § 3. — Démonstratifs et relatifs 68
(34) § 4. •— Menus adverbes 69
(35) §5. — Menues prépositions 69
(36) § 6. — Menues conjonctions 70
(37) §7. — Le verbe (( être » .' 71
XX TABLE DES MATIÈRES
Pages
(38) § 8. — Le verbe a avoir » 72
(39) Chapitre IV. — Le vocabulaire français.. 74
(149) Chapitre V. — Le vocabulaire allemand . 94
(173) Chapitre VL — Le vocabulaire magyar. .. 99
(231) Chapitre VIL— Le vocabulaire anglais .. . 115
(235) Chapitre VIII. — Le vocabulaire oriental.. . 116
(241) Chapitre IX. -- Les contaminations 121
(271) Chapitre X. — Les dérivations ultérieures. 132
(287) Chapitre XI. — Le résidu 135
(288) Conclusion 138
Notes additionnelles 144
Index 149
• » .
1 »
•
y
• » •
• «
LE LANGAGE MARTIEN
•• •• •
,• ♦ »
ETUDE ANALYTIQUE DE LA GENESE D'UxNE LANGUE-
dans un cas cie glossolalie somnambuliquo
• ' •
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
(1) Dans cette étude qui ne s'adresse pas aux seuls
linguistes, mais encore, et bien plutôt, aux psycho-
logues, aux occultistes, à tous ceux qui, de près ou de
loin, prennent un intérêt sainement scientifique au
délicat problème des activités subconscientes de Tesprit
humain, j'ai dû le plus possible éviter l'usage des
termes trop techniques, et l'emploi surtout des nom-
breuses abréviations nécessaires et familières à tous
les ouvrages de linguistique. Il en est pourtant
quelques-unes que je n'ai pu absolument bannir, sous
peine de répéter à satiété les mêmes mots faisant lon-
gueur. Qa voudra donc bien, dès Tabord, se souvenir
des suivantes: al. = allemand; fr. = français; mg. =
magyar (hongrois); mt. ^= martien; sk. =■ sanscrit.
L'abréviation FI. désigne Touvrage de M. Flournoy.
Lorsqu'elle est suivie d'un chiffre (de 1 à 40), elle
1
• ••'
9
• •
• »,
renvoie à l^iin 'des quarante textes martiens colligés
dans soi^^i^we, de la page 204 à la page 223.
Au A3butraire, un chiffre quelconque, simplement
prétîédé du mot « n^ », renvoie, à l'un des nombreux
nxtfliéibs (entre parenthèses) qui marquent les divisions
.•5«,'îa présente étude. Ce système de références était
. ^m'dispensable, dans Tanalyse, nécessairement parcel-
laire, de vocables et de procédés isolés, qui pourtant
s'entrecroisaient entre eux en tous sens suivant les
mille méandres du rêve. J'ai donc fait tout mon pos-
sible pour en rendre 1 application aisée aux lecteurs
qui me feraient Thorneur de vouloir suivre de près,
contrôler^ critiquer et amender le développement de
mes inductions.
Les langues citées au long de ces pfiges sont toutes
supposées au moins sommairement connues, à la seule
exception du magyar, sur la prononciation duquel on
trouvera quelques renseignements au début du cha-
pitre VI.
INTRODUCTION
(2) Au commencement de Tan dernier, M. Théodore
Flournoy, professeur de psychologie à la Fixculté des
Sciences (le TUniversité de Genève, publiait un ou-
vrage intitulé: « Des Indes à la Planète Mars, étude
sur un cas de somnambulisme avec glossolalie »
(l'*^-3^ édition, Paris, Alcan, 1900), qui me fut signalé
par M. Barth comme contenant nombre de faits de
nature à piquer la curiosité des linguistes. M^^^ Hélène
Smith (pseudonyme), personne visiblement intelligente
— 3 —
et instruite, spirite convaincue et médium renommé
dans les milieux spirites de Genève, nullement suspecte;
de simulation, a des visions d'une précision remar-*
quable, où le raffinement et Torigi-nalité du fond et
de lensemble le disputent à la naïveté, parfois même à
l'enfantine ignorance, que trahissent les détails. Elle
a été jadis une princesse arabe, mariée à un prince
hindou; et, comme telle, elle ne sait pas un mot'
d'arabe, mais elle parle sanscrit, — oui, sanscrit! une
femme!! dans l'Inde, au XV® siècle de notre ère!!! —
ou plutôt une sorte de jargon inintelligible, fort bien
dénommé (( sanscritoïde » par Tauteur, où se recon-
naissent encore^ parmi les caractères généraux de fa
langue assez fidèlement imités, quelques bribes de mots
sanscrits, presque tous déformés et d'ailleurs d'elle
incompris, mais enfin inexplicables dans sa bouche,
s'il ne lui a passé quelque jour devant les yeux un
roman d'aventures pseudo-oriental et un ouvrage élé-
mentaire de grammaire sanscrite, où sa mémoire sub-
consciente a puisé les éléments de sa biographie et de
ses discours hindous. Tout sanscritiste que je suis, ce
n'est point pourtant ce chapitre de M. Flournoy
(p. 257-322) qui a captivé mon attention : la langue en
est trop peu variée, nous en avons trop peu de spé-
cimens, et je ne pouvais guère espérer y rien découvrir
de nouveau, alors qu'elle avait déjà subi l'examen de
savants tels que MM. Barth, de Saussure et Michel.
Mais M"® Smith a un autre rêve, non moins cohérent
et persistant, qu'on a suivi patiemment, de mois en
mois, pendant des années (p. 135-244) : elle se croit
_ 4 —
•transportée dans la planète Mars, elle y voit des
paysages et des personnages, elle entend tenir des
propos qu'elle répète, et presque toujours fort nette-
ment; elle fait mieux encore, parfois elle les écrit;
enfin elle ne se borne pas à les redire et à les écrire
(d'une écriture spéciale qu'elle ne saurait relire à l'état
de veille), elle les traduit avec soin mot pour mot; non
pas elle sans doute, — car elle-même n'y comprend
goutte, — mais un désincarné du nom d'Ésenale qui
lui sert d'interprète, et qui, pour les croyants, est un
esprit inspirateur, tandis que les positivistes du genre
de M. Flournoy et moi n'y sauraient voir qu'une des
nombreuses formes du subconscient de M"® Smith elle-
même. Bref, nous possédons, grâce à cet admirable
investigateur, 40 phrases martiennes, d'une à cinq
lignes chacune, plus quelques mots isolés, formant
ensemble un vocabulaire de 300 mots^ que M"® Smith
a appris dans la planète Mars, créés arbitrairement
ex nthtlo, ou empruntés inconsciemment au trésor
linguistique, d'elle en partie inconnu^ qui gît dans les
profondeurs de sa mémoire subliminale. Telle est
la question que je me suis posée et dont je dois com-
mencer par préciser les éléments.
§ l®^ — POSITION DE LA QUESTION
(3) Si nous écartons a priori l'hypothèse d'une com-
munication surnaturelle de M^^^ Smith avec les habi-
tants de Mars, — ainsi que la science a le droit et
le devoir de bannir de son domaine toute hypothèse
invérifiable, — il demeurera admis provisoirement
— 5 —
qu elle a inventé le mnrtien de toutes pièces. Le pro-
blème sera de savoir par quels procédés de son enten-
dement elle Ta spontanément ou lentement construit;
et ce problème ne manquera d'intérêt, ni pour le
psychologue, ni pour le linguiste.
Pour ce dernier, d'abord, — la question de Torigine
du langage mise à part, qui n'est point de son res-
sort \ — îl y a ipcontestablement un intérêt de preniier
ordre à assister à l eclosion même de ces formes du
langage que d'habitude il ne lui est donné de saisir
que. figées dans les livres ou tout au moins déjà fixées
dans le parler courant. C'est tout autre chose, d'in-
ventorier le produit, et d'assister à l'acte producteur.
En se plaçant sur le terrain même où l'activité intel-
lectuelle semble le mieux établie et saisissable,
M. Michel Bréal l'a récemment étudiée dans un beau
livré*, sur lequel j'ai recueilli maint témoignage admi-
ratif, et. que j'admirerais moi-même davantage, si
presque à chaque page je ne m'y sentais arrêté et
froissé par la permanente présomption, avouée ou
latente, de l'intervention de la conscience dans les
opérations élémentaires du langage. Que si les procédés
d'un sujet plongé à l'état de subconscience et créant un
langage reproduisent exactement les phénomènes de
sémantique relevés par notre maître ix tous dans sa
vaste et ingénieuse enquête à travers tous les lan-
gages civilisés, il demeurera établi par voie expéri-
1. Voir, sur ce point, les conclusions du chapitre II de mes
Antinomies linguistiques (T. II de la Bihlioth, de la Fac. des
Lettres de Paris, Paris, Alcan, 1896).
2; Essai de Sémantique, Paris, Hachette, 1897.
4
— 6 —
mentale ce que je m^étais efforcé de démontrer à grand
renfort d'arguments et d analyses logiques^ : que le
langage est Toeuvre spontanée d'un sujet absolument
inconscient des procédés qu'il emploie à cet effet.
Pour le psychologue, par répercussion : si Thomme
n'invente rien, s'il ne fait que se souvenir, le langage
de W^^ Smith doit être un composé analysable de ses
divers souvenirs auditifs ou livresques, chacun d'eux
relié au sens qu'elle leur attribue par le fil plus ou
moins ténu, plus ou moins embrouillé, plus ou moins
perceptible, d'une association d'idées, tantôt directe,
tantôt contournée et bizarre, telle qu'on en observe
chez tous les hommes et sur soi-même dans la rêverie
et le rêve. Il serait possible, en effet, de concevoir
qu'un homme s'ingéniât à composer de la manière la
plus arbitraire un langage artificiel, qu'il appelât, par
exemple, mèche « une Jtable » et sûr « un encrier », par
l'unique raison qu'il n'y a aucune raison de les nommer
ainsi ; mais, outre qu'alors il aurait bien de la peine à
se .souvenir de son vocabulaire, à retrouver dans sa
mémoire les mots qu'aucun lien ne rattacherait à leur
sens conventionnel, le seul travail de création d'une
telle langue exigerait de sa part un effort extraordinai-
rement violent et pénible; car, à chaque idée ,qu'il
voudrait exprimer, une association quelconque d'idées,
soit avec le nom même de l'objet à nommer dans telle
ou telle langue de lui connue, soit avec celui d'objets
similaires ou voisins, soit avec la forme, les qualités
accessoires ou l'emploi de cet objet, etc., etc., offrirait
1. Antinomies linguistiques^ pp. 68 sq.
— '7 —
spontanément à sa mémoire subconsciente une image
auditive composée de certains sons, de certaines syl-
labes, qu'il serait fatalement amené à reproduire ; et,
pour résister à cette tendance naturelle, il lui faudrait
une attention tendue, de tous les instants, qui ne
pourrait manquer d'être fort souvent en défauts Aussi
les gens qui parlent argot ji'ont-ils rien trouvé de
mieux, pour déguiser leur langage, que d'employer la
plupart du temps les mots mêmes de la langue cou-
inante, déformés par un certain nombre d'artifices, au
fond très simples, très faciles à retenir et à reproduire,
quoique méconnaissables aux non-initiés; et l'on verra
que tel est aussi le procédé naïvement et inconsciem-
ment mis en œuyre dans les suffixations et les meta-
thèses de M^^^ Smith.
Ainsi, disons-nous, celui-là même qui s'efforcerait
constamment de créer un langage qui ne ressemblât à
rien, ne pourrait échapper à la fatalité d'y trahir et d'y
laisser deviner le jeu des organes secrets qui con-
courent dans le moi subconscient à Télaboration toute
mécanique du langage humain. A plus forte raison
M^'® Smith, chez qui nous ne saurions soupçonner un
semblable effort que si elle était une simulatrice cons-
ciente et extrêmement habile : ce qui, à la suite des
observations si pénétrantes de M. Flournoy, est hors
de, question; mais alors même, ne nous lassons pas de
le répéter, la création de son martien obéirait, à son
insu, à des lois. Ce sont ceâ lois, nécessairement mul-
tiples et protéiformes, qu'il s'agit ici de dégager, s'il
est possible, de Tensemble des faits.
— 8 —
En somme, pour le psychologue comme pour le
linguiste/ il y a, entre l'observation du langage tout
forilié et celle du langage en voie de création, la même
différence que du minéralogiste qui étudie un cristal à
la loupe et au creuset, au chimiste qui suit des yeux le
travail même de la cristallisation.
Subsidiairement, s'il est constant que le martien de
M"® Smith n'est fait que de ses souvenirs linguis-
tiques, combinés, réfractés, gauchis, altérés en divers
sens, il ^demeurera établi, — ce qui, paraît-il, a besoin
de l'être aux yeux de certaines personnes, — mais
celles-ci ne lisent guère nos livres, — il demeurera,
dis-je, établi qu'elle n a jamais visité la planète Mars
et que les cosmographies scientifiques peuvent, jusqu'à
plus ample informé, se dispenser d'insérer les rensei-
gnements qu'elle nous en rapporte.
Par toutes ces raisons, dont la dernière est naturelle-
ment la moindre, j'ai cru pouvoir affronter le ridicule
de consacrer une étude linguistique à une langue qui
n'existe pas. Ceux-là seuls m'en pourraient blâmer,
qui méconnaîtraient l'importance des expériences
hypnotiques et la part de plus en plus grande qu*elles
sont appelées à prendre, à mesure de leurs progrès,
dans la construction d'une psychologie vraiment objec-
tive, débarrassée des entités scolastiques qui encom-
braient Tancienne, et intimement unie à la physiologie.
Mais ceux qui sauront gré à M. Flournoy d'avoir
longuement, en 400 pages, décrit toutes les intéres-
santes variations du thème subconscient deM^'® Smith,
ne sauraient m'en vouloir d'avoir détaché l'une d'elles.
— 9 —
et assurément la plus digne d'attention, pour la sou-
mettre à un examen spécial. Que si je m'abuse et que
mon travail ne plaise ou ne profite à personne, j'aurai
du moins cette satisfaction égoïste, qu'il m'aura été
fort utile à moi-môme, en me faisant mieux com-
prendre la nature intime de bien des phénomènes que
la linguistique constate, enregistre, étiquette, mais
qu'elle n'explique point, parce que, si elle les expli-
quait, elle ne serait plus la science des mots, mais celle
des idées, et qu'à chacun suffit sa peine.
I -
§ 2. — LA MÉTHODE
(4) Étant donné le but à atteindre, la méthode à
suivre s'impose de soi-même : comparer la langue de
M"® Smith à chacune des langues réelles dont on peut
lui supposer quelque connaissance, soit approfondie,
soit accidentelle et tout à fait parcellaire.
Mais, ainsi qu'on le verra, et comme au surplus
M. Flournoy l'avait déjà fort bieh constaté, le martien
n'^st vraiment original que par son vocabulaire. Sa
grammaire et sa syntaxe, d'ailleurs aussi dénuées d'in-
térêt l'une que l'autre, présentent entre elles le plus
frappant contraste : l'uno est lâche, flottante, ausâi mal
fixée que possible sur la plupart des points où sem-
blerait devoir se laisser surprendre le rudiment au
moins d'une norme grammaticale; l'autre, au contraire,
rigide et dure, est impitoyablement couchée et main-
tenue sur le lit de Procuste de la syntaxe française.
Bref, — M. Flournoy l'avait dit avant moi, — le mar-
tien est l'œuvre ingénue et curieuse d'une intelligence
— 10 —,
enfantine, dénuée de tout sens linguistique et souverai-
nement inconsciente de ce qui constitue Tessence d'une
langue, persuadée enfin que Ton crée une langue en
substituant à chacun des mots de son parler familier
un mot aussi différent que possible, qu'on croit inventer
et qu'on ne fait en réalité qu'adapter en l'altérant.
C'étaient donc les mots de la langue martienne qui
réclamaient avant tout un sérieux examen; et, en défi-
nitive, c'est presque sur les mots seuls que porte le
détail de la présente étude. A cet effet, on les a relevés
d'abord par ordre alphabétique, en notant le degré de
fréquence de chacun d'eux, ou de chaque forme gram-
tnaticale d'un même mot, 'lorsqu'il se présentait sous
plusieurs. Ce travail de pure statistique une fois achevé,
il s'agissait de discuter la valeur respective des diverses
parties de la documentation ainsi obtenue.
Les observations martiennes se sont espacées sur
une période de plus de trois ans, du 2 février 1896 au
4 juin 1899, parfois séparées Tune de l'autre par un
intervalle de plusieurs mois : il y en a, par exemple>
plus de deux entre l'avant-dernière et la dernière, près
de neuf entre la première et la seconde. En l'état, bien
qu'elles aient été toutes conduites avec le même soin,
elles ne sauraient être à beaucoup près d'égale valeur :
les premières et les dernières ont nécessairement moins
de consistance et d'importance que celles de la période
où M^^® Smith nage en plein courant martien, où
chaque séance lui amène un nouveau rêve, où les mots
pour le décrire se pressent sur ses lèvres, et où le
martien semble jaillir en source vive de celles de ses
interlocuteurs imaginaires.
— 11 —
Au début, le martien n'est pas encore fixé : ce n'est
presque qu'un balbutiement confus ; plusieurs mots
sont créés, qui ne reviendront pas dans la suite
[haudan, n^ 156), même pour exprimer une idée tout
identique {cévouitche, n^ 182). C'est le moment de l'in-
cubation, plein d'intérêt pour le psychologue, surtout
s'il la pouvait pénétrer dans les mille replis du sub-
conscient où elle s'élabore silencieusement, mais sans
valeur pour le linguiste, qui ne peut établir d'induc-
tions sûres que sur des formes fixes, précises et bien
caractérisées.
A la fin, l'imagination de M^^® Smith se lasse et
s'épuise, visiblement : elle ne crée plus de scènes nou-
velles ni n'entend de dialogues originaux ; elle ne fait
plus que répéter, sous une forme à peine modifiée, les
mêmes phrases banales, et tourner dans un cercle
désormais fermé, enfin se pasticher elle-même. Le
cycle martien est clos : peut-être s'en ouvre-t-il un
autre; l'auteur nous le fait espérer, et même il nous en
esquisse les prodromes; mais de celui-là, nous n'avons
cure pour l'instant. Il en résulte que les mots de cette
période donnent moins de prise à nos essais d'explica-
tion, et aussi les requièrent moins : ou bien ce sont des
mots déjà entendus, précieux seulement comme témoi-
gnages de la continuité du souvenir ; ou, s'ils sont
nouveaux, ils ne seront pas répétés, et manquent par
là même de contrôle à ce dernier point de vue, qui est
le plus important de tous.
Cette observation s'applique également, quoique
dans une moindre mesure, aux mots de la période
— 12 -♦
intermédiaire qui ne sont apparus qu'une seule fois et
que W^^ Smith n'a pas eu roccasion de répéter. Ces
mots, que suivant In nomenclature philologique usuelle
j'appellerai par concision des « à7ra$ .«, sont sus-
pects, non pas en ce qu'ils auraient pu être inexacte-
ment recueillis, — le soin diligent de robservateur
nous est garant du contraire, — mais en tant que
nous ne sommes jamais assurés que le sujet les eût
répétés absolument identiques, ni par conséquent
qu'ils soient de vrais spécimens d'une vraie langue,
invariable et sûre d'elle-même. Plus un mot est revenu
de fois, plus il y a de chances, bien évidemment, pour
qu'il se rattache à une association d'idées précise,
simple et susceptible d'être pensée par quelque autre
cerveau humain que celui de M*^® Smith, partant re-
constituable par voie d'induction; et aussi verrons-
nous par la suite que les mots les plus fréquents sont
aussi en principe ceux dont les origines se décèlent
le plus aisément.
Toutefois il ne faudrait pas exagérer la portée de
cette dernière remarque. Pour la ramener à sa juste
valeur il suffit d'observer que la plupart des mots qui
n'apparaissent qu'une fois reviennent en réalité deux
fois dans l'ensemble de la documentation. En effet,
M^^® Smith ne traduit pas toujours une phrase mar-
tienne le jour même où elle l'a prononcée ou écrite : il
s'écoule souvent plusieurs jours, plusieurs semaines,
entre la composition du texte et sa traduction; et, le
jour où elle le traduit, elle le répète elle-même, sans
secours extérieur, mot pour mot, tel qu'elle l'a dit ou
- 13 -
écrit antérieurement, en raccomp«ngnant d'une inter-
prétation servile à force de littéralité. Il faut bien,
pour cela, que chaque mot se trouve, si je puis dire,
épingle dans une case de sa mémoire : ce que nous
cherclions à démêler, c'est la nature et la forme de
répingle^
Partant de ces prémisses, on s assurera sans peine
que, outre quelques mots isolés (FI. p. 223), les mots
martiens les moins dignes d'intérêt sont ceux qui
figurent dans les textes 1, 3, 4, 8, 25, 33, 39 et 40; car
ce sont ceux qui, traduits le jour même, contiennent
aussi le moins de mots rencontrés également dans
d'autres textes. Le texte 33, que j'appellerai dans la
suite « la phrase inintelligible », gouffre encore, par.
rapport aux autres, d'une infériorité supplémentaire :
c'est une phrase entendue d'abord en une langue autre
que le martien, — véritable charabia qui n'est apparu
qu'une seule fois, — puis retraduite en martien, et tra-
duite du martien en français, mais de telle manière
qu'il est impossible de dégager un sens précis du mot à
mot haché qui est censé la gloser. Sur 17 mots, déduc-
tion faite des particules de liaison, elle ne contient
pas moins de 13 «ita?, et seulement deux mots de
quelque fréquence.
Nous savons maintenant en gros quelles sont les
parties véritablement importantes et curieuses de
l'œuvre subconsciente de M"^ Smith; nous ne l'ou-
*
blierons pas en l'analysant dans le détail. Il nous
reste à déterminer les sources d'où elle a pu dériver.
14 —
§ 3. — LES MATÉRIAUX
(5) I. Le français, — Nous savons par M. Flournoy,
nous constatons aisément par nous-mêmes que le roman
martien est le produit d'une imagination tout enfan-
tine. Admettons, pour tixer les idées, que Vautour de
ces puérils récits et du langage qui les accompagne soit
un subconscient de M^^® Smith arrêté dans son déve-
loppement mental à lage de douze ans. A cet âge,
M^^® Smith savait parfaitement le français et ne savait
guère que cette langue : aussi est-ce le français, — on
s'en .assurera au premier coup d'œil, — qui lui a fourni,
avec sa syntaxe tout entière et la plupart des éléments
de son indigente grammaire, la grande majorité des
mots de son vocabulaire : bien entendu, non point tels
quels; altérés dans leur forme et détournés dans leur
sens, en cent façons capricieuses, par ce moi subliminal
que domine et remplit à ce moment Tunique pensée de
ne point parler français ni aucun autre langage de lui
connu; mais reconnaissables pourtant, parce que, ce
moi étant humain après tout, ces déformations s'effec-
tuent fatalement suivant les règles d'une certaine
logique humaine, et qu'il est dès lors possible à notre
esprit de relever les voies par lesquelles le sien a passé ;
voir le chapitre IV, n^^ 39-148. C'est donc sur le fran-
çais avant tout que devront porter nos investigations,
et nous ne recourrons à d'autres langues que lorsque,
interrogé à fond et parcouru dans toute son étendue, il
nous aura obstinément refusé une solution.
— 15 —
(6) II. U allemand. — M^^® Smith sait peu lallemand,
et au surplus sa personnalité consciente n a point du
tout le goût des langues. Toutefois elle a appris Talle-
mand pendant trois ans : trois ans, c'est beaucoup dans
une vie de trente, et, si peu d'ardeur qu'elle ait mis à
cette étude, il est impossible qu'il ne lui en soit rien
resté. Manquant de sens linguistique, elle ne s'en est
pas assimilé le moins du monde le*Qécanisme gramma-
tical; mais, douée d'une excellente mémoire^ elle en a
retenu des mots, dont elle a pu enrichir son lexique
martien.
Malheureusement, l'on ne nous dit pas à quel âge
elle a pris ces leçons d'allemand. Il n'est pas probable
que ce soit avant l'âge de douze ans ; toutefois elle a pu
les commencer vers cette époque, ce qui expliquerait
encore mieux l'imperfection de se.^ connaissances.
Mais mettons les choses au pis; supposons que
M^i* Smith n'ait pas su un mot d'allemand avant l'âge
de seize ans : s'ensuit-il nécessairement que son sub-
conscient de douze ans (n° 5), qui compose le ronran
martien et par hypothèse ne sait pas l'allemand, soit
absolument au dépourvu de toute ressource à puiser
dans cette langue? Je ne le crois pas.
Je n'ai garde de m'immiscer dans une question dont
la solution n'appartient qu'aux psychologues. Mais
enfin, a priori, le moi qui crée le martien et b moi
qui sait l'allemand ont beau être de date difïér mte :
au moment actuel, qui est en définitive celui de) ippa-
rition du martien, ils se trouvent réunis en une même
personne, et n'y sont point séparés, selon toute vrai-
^ !(} -
semblance, par une cloison étanchc; on conçoit tout
au moins la possibilité entre eux d'une communication
osmotique, discrète, difficile peut-être^ niais enfin
réalisable dans certaines conditions; et cette considé-
ration suffit il légitimer en principe quelques battues à
travers le vocabulaire allemand, à la recherche de telles
origines martiennes dont le français persisterait à ne
pas rendre compte.
Que dire après cela, si a posteriori cette recherche
se révèle fructueuse? Or, il est certain qu'on relève
entre les deux vocabulaires trop de coïncidences pour
les attribuer au pur hasard : sans parler de mode
(( mère » et gudé « bons », qui peuvent aussi bien être
anglais qu'allemands, mais sont sûrement l'un ou
l'autre, des mots tels que imâ « ciel », haudan « mai-
sons », cen « beau », sont témoins a triompher de tous
les scepticismes ; et d'autres, pour être moins trans-
parents, ne sont guère moins probants; voir tout le
chapitre V, n^^ 149-172. L'allemand a sûrement fourni
quelques fils de trame au tissu étrange dont le français
forme la chaîne.
(7) III. Le magyar. — M. Smith père était Hongrois
d'origine. Il s'est expatrié de bonne heure, et sa fille
n'a jamais eu occasion de connaître sa patrie, ni à plus
forte raison d'en parler la langue. En fait, elle estime
n'en pas savoir le premier mot, et nous ne demandons
pas mieux que de l'en croire sur parole, en tant du
moins qu'il n'est question que de son moi conscient.
Mais ce que nul ne croira, c'est qu'il ne soit jamais
arrivé à M. Smith de se rappeler devant son enfant la
- 17 -
langue de sa propre oiifaace, de lut adresser en magyar
un mot de tendresse ou une exclamation d'appel, do
lui nommer en magyar un objet familier, la feuille
■ qu'ils cueillent, l'oiseau qui s'envole à leur approche,
I î'écriture qu'elle trace sous ses yeux ! Je suis Alsacien,
Iflt jusqu'en 1870 j'ai entendu parler, parlé à l'occasion
patois de Colmar; d'autre part, mes filles n'ont
■ jamais vu l'Alsace et no connaissent eu fait d'allemand
J.'C[ue celui qu'on enseigne dans nos lycées. Cependant
I. il m'arrive souvent de prononcer devant elles, même
de leur adresser un mot, une phrase colmarlenne, à
laquelle je sais d'avance qu'elles ne comprendront
rien : alors, habituellement, je la leur traduis en fran-
çais, ou je la décalque en allemand classique, en leur
faisant observer les concordances phonétiques. Comme
au surplus ce sont là des curiosa isolés, il est bien
.clair qu'autant en emporte le vent: si l'on demandait
[•■à l'une d'elles comment se dît en colmarlen tel mot
que je lui ai appris une fois, elle répondrait de fort
bonne foi qu'elle n'en sait rien, et elle aurait raison;
mais peut-être, si elle était liynoptisable et qu'on la
fournit à l'expérience, le mot inconnu d'elle émerge-
|irait-il de ses profondeurs subliminales.
11 n'est pas douteux que tel soit le cas de M"" Smith :
H'empreinte est inconsciente, mais en général très
^ette et d'une remarquable pureté ; car les mois
IDagyars sont sensiblement moins déformés en martien,
) les mots allemands, moins bien connus de
^ Smith, et les mots franguis, qu'elle s'applique na-
Welleraent à déguiser, tandis que le magyar ne lui
— 18 —
paraît pas requérir cette précaution. Il suffira de citer
ici lâmi « voici », nâmi « beaucoup », ousti « bateau »,
et de renvoyer le lecteur au chapitre VI^ n<^' 173-230,
en lui faisant observer que les mots qu'il y rencontrera
sont précisément, ou des interjections, ou des noms
d'objets concrets, familiers, usuel«, ou des expressions
de tendresse enfantine, tous cas rentrant dans la défi-
nition donnée plus haut de ce qu'elle pouvait avoir
entendu de magyar à l'â^o de douze ans .
Remarquons enfin que, par cette raison même,
l'objection de principe que nous avons dû résoudre
quant à l'allemand ne se pose point quant au magyar :
c'est bien vers l'âge de douze ans que M"* Smith a
possédé tout ce que son subconscient a pu glaner et
accumuler en fait de magyar, et il n'est même pas pro-
bable qu'elle y ait rien ajouté depuis lors.
(8) [V. Le sanscrit. — Cette objection, si nous
n'avions désormais le droit de n'en plus tenir compte,
s'élèverait au contraire avec une nouvelle force contre
l'intervention du sanscrit dans l'élaboration du mar-
tien. Sans doute, nous ignorons, nous ignorerons tou-
jours à quel âge M"^ Smith a feuilleté par hasard le
ou les livres inconnus où elle a puisé les éléments d'un
roman pseudo-oriental, une donnée chronologique sur
l'histoire de l'Inde, quelques mots sanscrits et une
notion fort confuse de l'alphabet dêvanâgarî; mais,
comme le roman de Sivrouka et Simandini est une
histoire amoureuse et fort passionnée, le subconscient
qui la compose ou la répète, en tout cas la mime mer-
veilleusement, ne peut être qu'un moi adulte. On verra
-^ 19--
pourtant qu'il voisine, mais très peu et comme à la
dérobée, avec le moi enfantin qui se promène à travers
les paysages de Mars.
Ce qui importe pour l'instant, c'est de préciser, s'il
se peut, ce que M**® Smith sait au juste de sanscrit : je
ne veux point dire, de discuter et expliquer en détail
son vocabulaire, ce n'est pas la tâche que je me suis
assignée, et cet opuscule prendrait des proportions in-
décentes si je ne me bornais au martien; mais tout
uniment de délimiter Tinfluence occulte que le rêve
hindou a pu exercer sur l'évolution du rêve interpla-
nétaire.
Il est entendu que M^^® Smith ne sait pas le sans-
crit : des 40 mots sansçritoides recueillis de sa bouche,
15 à peine donnent un sens à l'analyse. On pourra en
accroître le nombre : expliquer le nom propre Siman-
dini par sk. slmantinl « jeune femme sur qui l'on a
accompli la cérémonie du sîmantakarma, tracé la raie
du sommet de la tête, épouse enceinte » ; chercher dans
atiéyâle simple mot adhydya « chapitre », légèrement
altéré parce que Teffort de prononcer l'A a changé le d
en t et que l'a a été. prononcé comme dans le f r. il
paya (on remarquera que ce mot figure en tête de bien
des divisions d ouvrages hindous, et souvent associé à
l'invocation à Ganêça ou Ganapati, FI. p. 293, par
laquelle ils débutent); couper en deux le bizarre tvan^
dastrourrij et y reconnaître sk. dvandva « couple »,
terme grammatical qui figure en bonne place dans
quantité d'ouvrages, etc. Peut-être arriverait-on par là
à savoir quelque jour où M^'® Smith a pris son sanscrit,
- 20 -
mais on n élèverait pas d'un degré Testime qu'un sans-
critisteen doit faire. La considération capitale^ en effet,
c'est qu'en parlant sanscrit ou sanscritoide elle ne
parait pas savoir ce qu'elle dit : rarement elle place à
propos un mot reconnaissable ; il en est d'admirable-
ment corrects dont rien n'indique qu'elle sache le sens ;
tout au contraire du martien, qu'Esenale traduit comme
un professeur en classe, elle se refuse, — ou du moins
Léopold, un autre désincarné, qui pourtant a la science
infuse, y témoigne une répugnance presque invincible,
— à traduire son sanscrit; ou, si on l'en presse à toute
force, on n'obtient qu'un sens général de phrase,
jamais celui d'un mot en particulier, et le tout se
réduit à quelques confuses éjaculations, cris entrecoupés
de tendresse adressés par Simandini à son époux,
chanson printanière (FI. p. 302), plus plate et plus vide
que la plus fade de nos romances. La preuve est faite :
M"® Smith ne sait pas du tout le sanscrit, et le sans-
critoide qu elle modèle à son image, — bien différent du
martien, qui est un véritable organisme linguistique,
encore qu'imparfait, — n'est qu'un gazouillement in-
forme, sous lequel elle-même ne perçoit qu'un sens
confus d'élan passionné, — le chant, si l'on veut, du
rossignol au printemps.
Et toutefois, un autre fait s'impose, qu'il ne faut pas
perdre de vue dans cet examen et qui a frappé tous
les érudits consultés sur la matière : son sanscritoïde
ressemble étonnamment au sanscrit ; il en a, non
seulement quelques mots, intacts ou peu altérés, mais
les allures générales, la prédominance de la voyelle a,
liaisons par semi-voyelles {ai/a, iya), même, Â^ti
f croire les auditeurs, le rythme enveloppant et berceur.
Ceci ne doit être entendu que ciim grano saiis : ainsi
que le fait observer M. Flournoy. beaucoup d'« y sont
prononcés à, alors que le sanscrit ne connaît d'autre
M que celui qui se triinscrirait ou en français, et cette
circonstance à elle seule suffit à introduire une fausse
note douloiu'eusement sensible k fotite oreille sanscri-
■liste; d'autre part, la finale de tvandastroum (FI.
■■p. 298) pourra passer pour tout ce que l'on voudra
p;plutût que du sanscrit, JMais, avec tout cela, il n'eo
P-demeure pas moins que le sanscritoïde est un pastiche
^remarquable des sons et des intonations du sanscrit :
■ipour être arrivé à l'obtenir, il a fallu que le sujet se
BÎât assimila avec une justesse surprenante les carac-
cx-tèrieurs de cette langue et fût subconsciemment
F doué d'une faculté d'imitation peu commune.
Une circonstance entre toutes s'est imposée 'a la pé-
iflétraote attention de M. de Saussure : le sanscrit n'a
Pipoint dy, et te sanscritoïde de M"* Smîlh n'en a pas
" non plus accuse un seul. H y a !à un petit mystère
irritant ; car, de supposer (F|. p. 317) que M"" Smith,
qui n'a pas l'attention tournée vers les faits de linguis-
Utique, de phonétique encore moins, et qui n'a lu ou
entendu qu'une vingtaine de mots sanscrits, ait pu
remarquer d'elle-même qu'aucun de ces mots ne eon-
fenaitdy, je.crains que cela ne passe la vraisemblance.
3l n'est pas moins malaisé de croira qu'elle ait trouvé
Jette constatation toute formulée dans une grammaire
xidentollement feuilletée; car, d'abord, elle serait
— 22 -
eh partie erronée, le sanscrit ayant au besoin un f,
son ph, qui lui sert à transcrire les/ des mots étran-
gers; et puis une parenthèse de ce genre était-elle de
nature à laisser à la mémoire une assez profonde em-
preinte pour que Vf fût systématiquement banni du
sanscritoïde? 'Il faut chercher ailleurs, au risque de
s'égarer : peut-être la comparaison du miartien au sans-
crit éclairera-t-elle la question, en même temps qu'elle
jettera quelque jour sur l'un des procédés de l'élabo-
ration du martien lui-même . .
Le martien non plus n'a point d'f, ou bien peu s'en
faut : qu'on les compte, on en trouvera en tout 7, dont
6 initiaux (n«« 77, 78, 79, 80, 246 et 247),^et un médial,
ce dernier suspect (n<» 273). C'est bien peu, étant donné
que les langues qui ont servi à le construire, français,
magyar, allemand, nous offrent cette consonne en pro-
portion très notable. Numériquement, si nous ne ren-
controns que six ou sept f dans 300 mots martiens,
prononcés très distinctement à plusieurs reprises ou
même souvent écrits de la main du sujet, en sorte que
Terreur sur l'articulation est à peu près impossible,
combien sommes-nous en droit d'en attendre dans une
quarantaine de mots sanscritoïdes, la plupart du temps
vaguement zézayes ou balbutiés, dits à voix basse,
à peine entendus des assistants qui ont dû les noter au
vol? Moins d'un, n'est-il paà vrai? Eh bien^ nous n'en
trouvons pas un ; c'est toute la différence : elle est mi-
nime. J'en conclus que,, si M"® Smith ne met point dy
dans son sanscrit, ce n'est pas qu'elle ait des lumières
spéciales sur l'absence de l^en cette langue; c'est tout
I
— 23 —
uniment qu'elle introduit dans ta création du sauscri-
toîde l'un des principes au moins qu'elle a suivis dans
celle du martien : ce qui n'a rien d'étonnant, puisque
ces deux créations, remarquons-le bien, se sont dérou-
lées chronologiquement côte à côte.
Ce principe, quel est-il? Je le dirai sans ambages,
dût-on en railler, La logique du rave n'est point celle
de l'homme éveillé et pleinement conscient ; et au sur-
plus la simple rêverie d'un homme sain et rassis amène
parfois des associations d'idées beaucoup plus étranges
que celle que je conjecture ici. S'il est une pensée gé-
nérale qui occupe tout entier le subconscient de
M"° Smith au moment où elle assemble les sons du
sanscritolde ou du martien, c'est assurément celle de
ne point parler « français » : toute son attention doit
être bandée à cet effort. Or, le mot « français ii com-
mence par un/, par cotte raison ly doit lui apparaître
comme la lettre u française n par excellence, et donc
elle l'évite tant qu'elle peut: c'est pourquoi il n'y a
point dy en sanscritolde, et presque pas en martien.
Mais à ce compte, dira-t-on, il n'y en devrait point
avoir du tout. ~ Sans doute ; mais il n'est telle atten-
tion qui ne se lasse, telle vigilance qu'on ne puisse
prendre en défaut : mettons que les quelques y du
martien soient des lapsus, la consonne a bondi trop
vite pour que la réflexion subliminale la pût corriger,
qui s'en étonnera? Même, si l'on examine d'un peu
près les six mots à yinitiai, on entreverra do vagues
raisons du maintien exceptionnel de la consonne: l'un
est un terme technique dont la formes'impoBait,FI. 12;
3
— 24 -
l'iHltre était suirisamment déguisé par le détour c
dalêeii d'où il était issu, pouf qu'un déguisement ulté-
rieur dût paraître inutile, FI. 24; un autre a été pro-
noncé '< en plein somnambulisme u, dans une phrase
qui n'est qu'un sanglot, FI. 13... N'insistons pas, sous
peine de forcer la note: il doit nous sullire d'avoir mis
toutes les vraisemblances au service de notre liypo-
thèse.
Nous l'aurions fait, si nouK parvenions à démontrer
que, quand M"" Smith emprunte à une langue d'elle
connue un mot contenant un,/' elle change cette lettre
en une autre consonne, toujours la même ; car alors la
proscription systématique de 1'/ sauterait aux yeux ;
et, en même temps, on comprendrait mieux qu'elle
l'eut si heureusement réalisée, ayant toujours présent A
la mémoire un substitut tout prêt pour la consonne
abhorrée. Il se peutqu'ilen soit ainsi, et que M"" Smith
remplace l'/'par le b .-on en trouvera quelques indices
au cours de ces pages_, n"* 36 (3"), 151, 180 ; mais je n'en
sais de preuve à peu près irréfragable que l'ai, finden
devenu mt. biridié, n" 150. Théoriquement, la subs-
titution est irréprochable : elle se justifie par une
double association, phonétique et graphique. L'/est
une labiale : il appelle, pour le remplacer, une con-
sonne qui exige le même mouvement de lèvres et la
même disposition de l'organe buccal. Maintenant,
pourquoi le 6 plutôt que le jo etief, qui sont, chacun
de son côté, plus voisins de Vf, l'un parce qu'il est une '
sourde, l'autre parce qu'il est une spirante? Ici inter-
vient l'intluence de la graphie : le b est de toutes les
I labiales la seule dont le caractère ressemble à celui de
ly, comnieneè comme lui pur une grande boucle qui en
forme presque tout le corps. Si ces inductions rapides
8e vérifient par la suitode mon analyse, c'est ce que je
laisse de bon cœur au lecteur à apprécier.
11 résulte de cette discussion que M"" Smith a pu
parler un sanscrit d'apparence correcte en en sachant
fort peu, et que, comme parfois son rêve hindou s'eu-
treméle à son rêve martien (FI. 13), elle a pu utiliser
quelques souvenirs orientaux pour la construction de
sa langue martienne.
[9) V. Autres langues. —C'est tout, heureusement:
car, si nous avions dû promener notre recherche à
travers d'autres domaines linguistiques, il y avait de
quoi nous décourager de l'entreprendre; et, d'autre
part, elle serait devenue suspecte ; on nous aurait
objecté qu'il fallait bien que le martien ressemblât à
quelque chose, et que, ressemblant à tant de langues â
1 fois, il avait donc bien des chances d'être original.
. Smith père, nous dit-on, h parlait couramment le
îjongrois, l'allemand, le français, l'italien etl'espagnol,
Kiomprenait assez bien l'anglais, et savait aussi le latin
fet un peu de grec )) (FI. p. 15); mais, de tout cela, sauf
sa langue natale, rien ne nous permet ni ne nous oblige
de supposer qu'il ait transmis la moindre notion à sa
fille. Sans doute elle aura pu saisir quelques mots de
les conversations avec des étrangers; il serait môme
jfitonnant qu'elle ne connût pas certaines bribes d'an-
glais et d'italien; il vient tant d'Anglais à Genève, et
fritalie est si prochel II serait donc excessif d'exclure
— 26 —
toutes les langues autres que français, allemand,
hongrois et sanscrit ; mais elles ii'ont droit d'apparaître
qu'à l'extrême arrière-plan, et seulement en tant qu'il
s'agira de locutions connues, pour ainsi dire, de toute
personne de moyenne instruction. Notre horizon de
recherche se trouve ainsi rigoureusement circonscrit.
— 27 —
CHAPITRE PREMIER
Les procédés du Langage martien
(10) Fixés maintenant sur le but et la méthode de
notre recherche, nous abordons notre sujet par l'exa-
men et le classement des procédés généraux qui pré-
sident, dans le moi subconscient du sujet, à l'élabora-
tion de la langue martienne. Les quelques exemples
cites dans l'introduction, de mots français, allemands,
magyars, transportés à peu près tels quels en martien,
n'avaient d'autre objet que de rendre manifeste le fait
brut de l'adaptation de ces trois langues à la création
de l'idiome nouveau rêvé par M^^® Smith. Il s'agit
maintenant de savoir ce qu'ils deviennent dans sa
bouche ou sous sa plume, quand, — ce qui est de beau-
coup le cas le plus fréquent, — elle les déforme pour
les déguiser ou les plier aux besoins de l'expression de
sa pensée. Chacun des procédés qu'elle emploie à cet
efiEet sera établi à son tour par un ou deux exemples
seulement, mais autant que possible simples, clairs et
probants, empruntés de préférence au français; puis,
une fois acquise par cette voie la preuve que le procédé
dont s'agit n'est pas étranger à la linguistique sublimi-
nale de M""* Smith, il deviendra légitime d'en poursuivre
l'application à tous les autres mots de sou vocabulaire,
en les comparant, sous le bénéfice des modifications
que ce procédé comporte et autorise, aux mots des
divers vocabulaires réels que nous avons reconnus être
à sa disposition.
§ l®^ — PHONÉTIQUE
(11) Il est presque superflu de faire observer que la
phonétique est une des parties les moins intéressantes
de l'organisme martien. Sauf la statistique des voyelles,
déjà dressée par M. Flournoy (p. 225), et celle des
consonnes, qui ne nous apprendrait sans doute rien de
nouveau en dehors de la rareté de lyconstatée au n** 8,
il est presque impossible. d'en extraire aucune donnée
positive. De lois phonétiques, en effet, il ne saurait
être question ici : les lois phonétiques supposent un
langage vivant, évoluant pendant des années et des
siècles dans la bouche des hommes groupés en commu-
nauté, les enfants s'éfforçant de reproduire Thabitus
buccal de leurs parents, n'y parvenant que de façon
imparfaite, et imposant ainsi à la parole apprise des
altérations insensibles dont la somme finit par cons-
tituer la variation phonétique. Mais M'^® Smith est
Genevoise, elle est notre contemporaine; qu'elle parle
français, allemand, hongrois ou martien, son habitus
buccal est toujours celui de M^'® Smith : si donc, elle
change, par exemple, un d en t, un^en bj ce n'est pas
qu'elle y soit contrainte par aucune nécessité anato-
•mique ou physiologique; c'est par un effort de sa
volonté, — ce mot entendu comnae il doit l'être pour
exclure toute idée de simulation consciente, — et qui
dit volonté dit nécessairement, au moins dans l'état
présent de- nos connaissances psychologiques, arbi-
traire et caprice. On a déjà comparé son martien à un
jargon enfantin ou à un argot' professionnel. La seconde
comparaison est la plus juste : Tenfant qui jargonne ne
songe qu'à déformer les mots au hasard, car il ne s'in-
quiète pas d'être compris ni même de se comprendre,
il ne répétera jamais ce qu'il à dit une fois; dans l'ar-
got, il faut que les déformations soient réconnaissables
à une oreille initiée, et qu'un même mot, dès lors,
n'affecte pas trop de formes différentes; mais, de part
et d'autre, les altérations sont arbitraires, et ce serait
perdre son temps que de chercher, par exemple, des
concordances phonétiques fixes de l'argot français au
français. Tout au plus sera-t-il permis d'y signaler des
tendances confuses, souvent traversées et entravées par
des tendances inverses, et c'est aussi dans cette
mesure discrète qu'on soumettra à un examen phoné-
tique le martien de M'^'^ Smith.
I
(12) I. Les voyelles, — 1° La substitution vocalique
est le moyen évidemment le plus aisé qui s'offre à
l'esprit pour déguiser un mot quelconque : aussi est-
elle à peu près indéfinie en martien, comme dans tout
jargon enfantin. Toutefois elle obéit en général à un
principe fort bien mis en relief par M. Flournoy,
celui de la transposition du grave à l'aigu : ainsi Vo
passe volontiers à l'a, Va à Te, Ve à 1'/, et Vu, en tant
que son mixte, reste de préférence intact. On s'en
assurera par l'examen du vocabulaire. Peut-être même
les cas où se produit la mutation inverse (mt. nàmi
— 30 —
pour mg. némi, n^ 198) doivent-ils s'expliquer par des
influences étrangères à la phonétique ; mais ce serait
outrer les choses et lasser la patience du lecteur, que
de se livrer à l'investigation de pareilles minuties.
2° Le caractère fuyant du vocalisme martien est
d'ailleurs pleinement démontré par les hésitations du
sujet même qui le crée : ses finales sont parfois incer-
taines; on relève tarvinê et tarvini « langage » (FI. 12
et 15), povini et poviné « arriver » (FI. 11 et 27).
Rien de plus concevable; encore une fois, c'est le
contraire qui serait surprenant. Mais on ne saurait
attendre du martien un traitement tant soit peu cons-
tant des vocalismes étrangers, alors qu'il fait si bon
marché de son propre vocalisme.
3"* Les diphtongues étrangères au français se réduisent
à des voyelles simples : al. çm^'^'e devient -énêsé,
n** 168; al. haus donne haudan, qui se prononce à la
française, n® 156. C'est la conséquence naturelle de ce
que le martien est un idiome partiellement étranger,'
mais toujours articulé par un organe français.
4° Par la même raison, une voyelle suivie de nasale
-j- consonne se nasalise : al. handeln donne mt. andê-
lù\ qui se prononce avec a nasal et sans consonne n .
5** La possibilité de l'insertion d'une voyelle épenthé-
tique dans un groupe de consonnes ou, inversement,
de la chute d'une voyelle entre consonne et liquide,
est mise en lumière par le rapport étymologique, au
moins très probable, des deux mots bérimir et primi,
n**' .53 et 285. C'est d'ailleurs, dans toutes les langues
du monde^ un phénomène phonétique élémentaire et
des plus communs- Voir encore çà et là les mots crisi,
piri, klrimê, pocrimê, kramâ, etc.
{13) II. Les consonnes. — 1° L'échange de sourde
et sonore'{/t' >g,t>d,p>b,oii réciproquement) est,
. de tous les procédés de déguisement consonnan tique,
le plus nature! et praticable ; aussi verra-t-on que
M"' Smith en use très largement.
8° L'échange entre liquides, entre nasales, et d'ex-
; plosive à spirante de même ordre {r >l, m > n, b > v,
' ou réciproquement), est aussi extrêmement aisé :
M"« Smith connaît le procédé, mais n'en abuse pas.
3° Sur la mutation conjecturale f > b, voir le n" 8.
4° En ce qui concerne les sifflantes, il y a lieu d'ad-
, mettre, outre l'échange de sourde à sonore, — s > j,
i J > s, d'autant plus courant chez M"" Smith qu'elle
i prononce à la franijaise. c'est-à-dire comme un ^, l's
' martien entre deux voyelles, — l'échange de chuin-
' tante et sifflante, en d'autres termes le zézaiement qui
change i {— sch al.) en s, ou le phénomène inverse,
t Les mots martiens qui commencent par 3 semblent
presque tous des produits variés de ces diverses muta-
tions capricieusement croisées et combinées entre elles :
n»" 146-147, 226-227.
5" En dehors de ces quatre variations, qui relèvent
I d'une phonétique parfaitement normale et dont on
trouverait des exemples dans nombre de langues réel-
lement existantes, le martien semble parfois en accuser
une autre, tout h. fait argotique celle-là, qui consiste
à remplacer arbitrairement une consonne par celle qui
lia précède ou la suit immédiatement dans l'ordre
— 32 —
alphabétique : ainsi, / pour m, dans /é, n^ 32, 1**;
d pour c, dans dodé, n° 33, 2°, etc. On ne perdra pas
de temps à insister sur le caractère à la fois artificiel
et ingénu d'un procédé que désavouerait aujourd'hui
le plus vulgaire des cryptogrammes.
(14) 111. La métathèse. — Le phénomène dit de
métathèse, surtout consonnantique, se constate, non
sans fréquence, dans tous les' idiomes jusqu'à présent
étudiés. Dans notre parler de tous les jours, c'est à lui
que remontent la plupart de nos lapsus vocaux, de lui
que relèvent cent facéties qui courent les rues : sesque
pour sexe, et similaires. En tant qu'opération réflé-
chie, faire l'anagramme d'un mot a toujours passé pour
une façon agréable de le déguiser pour le laisser de-
viner, et nos journaux illustrés publient encore en der-
nière page toute sorte de problèmes en ce genre. On
doit donc a priori supposer qu'un procédé aussi cou-
rant est familier à M^'« Smith. Pour s'assurer que son
moi subconscient le pratique en effet, il suflSt de cons-
tater qu'il opère des changements métathétiques jusque
dans son propre martien : il a commencé par dire ktné
« petit », FI. 3, 8 novembre 1896; plus d'un an après
(28 novembre 1897, FI. 20), il n'a pas oublié son mot,
que pourtant il n'a jamais prononcé dans Tinter valle;
mais il en a fait l'anagramme, et il dit niké. Je n'ajou-
terai rien à un fait qui parle de lui-même; mais on
verra que la métathèse est, comme on doit s'y attendre,
une des clefs les plus satisfaisantes et les plus sûres du
problème martien, et Ton se reportera dès à présent,
— 33 -^
si on le veut bien, aux articles cltiré, diméj tensée
(chapitre IV)^ ma/2/r (chapitre VI), etc., etc.
(15) IV, Aphérèse, syncope, apocope, — C'est aussi
un procédé de démarquage très usité que de retrancher
à un mot la tète ou la queue ou le milieu^ et Ton doit
supposer que M"® Smith a parfois eu sous les ^eax un
logogriphe, peut-être même s'est amusée à en déchiffrer.
Au surplus, dans la rapidité 'de la prononciation, cer-
taines syllabes faiblement accentuées tombent d'elles-
mêmes, sans que la volonté y intervienne. Que Ton
compare maintenant : mt. chand-êné « délicieux »,
au fr, en-chant- eur, n® 60; mt. kiné « petit », au mg.
kicsiny.n^ 191; mt. meroé « superbes », au fr. merveil-
leux, n** 101. Il n'en faut pas davantage, j'imagine,
pour établir que l'aphérèse, la syncope intérieure et
l'apocope font partie du bagage phonétique de la créa-
trice du martien, et pour légitimer l'introduction de
ces procédés si simples dans la recherche de certaines
étymologies moins transparentes.
(16) V. Allitération et assonance, — Toutes les
langues primitives et tous les jargons enfantins usent
largement de l'allitération et de l'assonance : survi-
vance du temps lointain où la parole et le chant ne
faisaient qu'un, satisfaction vague d'un instinct esthé-
tique qui est la marque d'outil imprimée par l'homme à
toutes ses productions, moyen mnémonique aussi effi-
cace qu'aisé, tout concourt à faire de la répétition des
sons initiaux ou finaux la b^se de la mélopée accompa-
gnatrice du langage humain. A plus forte, raison, s'il
3
— 34 —
s'agit de Tœuvre d'un subconscient qui volontiers
rimaille, ne fût-ce qu'en vers' de mirliton, et à qui il
arrive de parler même en prose rimée, sans s'en aper-
cevoir qu'après coup (FI. p. 53-54). Les exemples que
j'ai relevés de ces phénomènes me paraissent sûrs, et
je crois même qu'il ne serait pas malaisé de les multi^
plier sans invraisemblance.
Allitération vocalique : durant un an et demi de
notations martiennes, on n'a pas recueilli un seul mot
commençant par u\ tout à coup, le 28 novembre 1897,
un u initial fait son apparition, et voici, coup sur coup,
en une seule ligne, trois m^ots commençant par w,
FI. 20; on les retrouvera en temps et lieu. Allitération
consonnantique : on relève des successions de mots
telles que mété mode FI. 4, pomnipoénêzé FI. 11, crizi
capri ...carimi FI. 20, qui ne sauraient toutes être
fortuites*. Il est même fort possible que la forme
étrange de certains « petits mots )) (cf. le chapitre III)
ait été, pour la première fois qu'ils ont été prononcés,
déterminée par une allitération sensible ou latente :
ainsi, ché « ton », qui est inexplicable à ma connais-
sance, viendrait (FI. 3) de la consonnance ché chiré
(( ton fils », que M'^*' Smith n'a pas prononcée ce jour-
là, mais qui est apparue dix jours plus tard (FI. 4), ou
bien d'une assonance plus générale encore, cf. n° 32, 2°.
Il ne faudrait pas exagérer la portée de ce précieux
principe. Il m'avait d'abord lancé sur de fausses pistes :
j'ai cherché dans beaucoup d'initiales martiennes des
1. Voir aussi, au n° 288, ce qui est dit des débuts manifestement
ailitérants du langage martien.
— 35 —
consonnes prothétiques issues d'allitération ou dé
fausse euphonie, et en fin de compte j'ai dû abandonner
cette idée. En lisant une phrase telle que mis méch
med mirivé a un crayon pour tracer » FI. 17, qui ne
croirait à une succession allitérante à dessein? Il n'en
est rien pourtant : de tous ces mots, méch est le seul
dont la genèse puisse, si Ton veut, mais non pas
nécessairement doive s'expliquer par une allitéra-
tion avec mis, Mirivé, qui a tout l'air d'une altération
de fr. écrives par une prothèse allitérante de m, est
bien issu d'allitération, il est vrai, mais non pas dans
cette phrase; car il est apparu trois mois et demi plus
tôt, dans le texte FI. 12 et la succession machir mirivé
iche manù\ Enfin, med « pour )), qui est né ce jour-
là, ne semble pas cependant être né par la vertu de
Tallitération ; car^ sept mois auparavant (FI. 8),
M^^® Smith avait dit meta a pourtant », qui ne semble
pas pouvoir en être séparé; cf. n"* 282.
Mais, si l'hypothèse allitérative est sujette à caution
dans l'explication du langage martien, l'assonance,
poussée même jusqu'à la rime, et jusqu'à la rime riche,
en constitue un des procédés les plus constants et spon-
tanés. 11 semble qu'une finale donnée en appelle à sa
suite, au bout de quelques mots, une autre toute
pareille. Ainsi, la finale -imé est fort rare en martien;
mais, dans le texte FI. 8, on la lit deux fois, à une ligne
d'intervalle : c'est que M^^« Smith, ayant dit misaïmé
(( fleurs », a été naturellement amenée à dire aussi
finaïmé « senteurs ». Parfois le rapport d'assonance
est double, et le balancement antithétique de lapropo-
— 36 —
silion est comme un rudiment du procédé des rimes
croisées: FI. 29, ^é bodri \ né dorimé\\zé pastri \
tubvé né tu^é, « Tos est sain, le sang seul est malade ».
Il serait aussi aisé qu'inutile d'accroître la liste de ces
cas dont le principe seul est intéressant k constater.
§ 2. — DÉRIVATION
r
(17) La dérivation martienne s'effectue exclusive-
ment par voie de suffixation; du moins, lorsqu'il s'y
produit une préfixation analysable, ne trahit-elle mani-
«
festement qu'un simple décalque du français; cf.
n°' 241-242. Mais la suffixation proprement martienne
est d'une indigence et d'une monotonie qui ne
s'expliquent que trop bien si Ton prend la peine de réflé-
chir qu'elle a beaucoup moins pour objet de former des
mots nouveaux que de déformer des mots déjà tout
faits. En bref, elle relève de deux principes antago-
nistes, tous deux étrangers à la morphologie des
idiomes réels et normaux : celui de la déformation jar-
gonnante ou argotique (n° 11) tendrait à imposer aux
mots transportés en martien les finales les plus variées,
les plus bizarres, comme étant les mieux propres à les
déguiser; tandis qu'au contraire le procédé de l'asso-
nance (n® 16) tend à assimiler les finales entre elles et
à ne les laisser évoluer que dans un cercle restreint. La
suffixation martienne est le résultat de l'équilibre ins-
table entre ces deux tendances : tout n'y est qu'arbi-
traire et confusion, et c'est à peine si l'on y peut
relever quelques repères fixes.
1"* Au début de l'apparition du martien, l'imagina-
— 37 —
tion du sujet paraît enlièrcment envahie par une finnle
-s, qui rappelle irrésistiblement les suffixes argotiques
si communs^ -uche, -anche^ -oche\ dont la connais-
sance a été plus ou moins propagée dans le grand
public par les romans d'E. Sue et les Misérables de
V. Hugo. La première éjaculation se compose de
quatre mots isolés, tous terminés par -s (n'*=^ 93, 99,
102 et 104), qui ne sont visiblement que de grossières
et très arbitraires déformations du français.
2^ Mais, de ces quatre mots, trois ne reparaîtront
jamais plus, un seul [métiché) est appelé à une haute
fortune. La prédilection pour la finale -s s'accuse
encore, mais beaucoup plus discrètement, par exemple
par la transformation du français vu en véche au texte
FI. 2. Elle ne va pas tarder à s'évanouir. Dès le texte
FI. 4, et définitivement à partir de FL 5, — mais il
faut bien remarquer qu'il s'est produit entre FI. 1 et
FI. 5 un travail d'élaboration subconsciente qui a duré
plus de dix mois, — le système des finales martiennes
est fixé tel qu'il se développera -dans la suite : prédo-
minance des voyelles, et surtout des voyelles -é ou -t,
soit qu'on les ajoute au mot emprunté pour le com-
pléter (fr. Espagne > mt. Espênié)^ soit qu'on les y
découvre en laissant tomber la consonne finale qui les
recouvrait (al. mutter ou anglais mother > mt. mode).
S"* Ce n'est pas à dire que la finale -s disparaisse sans
retour. Mais on ne la rencontre guère employée avec
une préférence marquée que dans les adverbes ou
mots accessoires du même genre: ttche « bientôt »,
1. Cf. Guieysse et Schwob, in Mùm. Soc, Ling.^YU, p. 40 sq.
— 38 —
étécheet itèch « toujours », vétiche « cependant ». On
n'e^ saurait conclure, d'ailleurs^ que M"® Smith ait
établi aucun lien entre ce suffixe apparent et sa fonc-
tion adverbiale; car on verra qu'il s'explique assez bien,
dans la plupart de ces mots, par des raisons d'emprunt.
4"* En dehors de ces cas, et de quelques autres où le
mot emprunté ne subit ni addition ni apocope finale
[mâche, atèv, pâlir, etc.), la suffixation que nous appe-
lons martienne, c'est-à-dire essentiellement dépourvue
de signification précise, indiflEérente même en principe
entre le substantif, l'adjectif et le verbe, est constituée
par une voyelle: le plus communément -é, -i, ou -ié;
parfois -a ou -a, qui presque toujours s'explique
mieux par des raisons d'emprunt; jamais -o ni -w.
Lorsqu'elle est plus compliquée, c'est-à-dire disylla-
bique, c'est généralement une nasale qui en constitue
la consonne : -imé, très rare; -mé^ -ini, -iniéj très fré-.
quents; -une, -unie, -ôné, etc.; subsidiairement, -;?/,
-i^i, assez communs. Pour plus amples informations on
consultera les vocabulaires.
5"* La seule finale suffixale significative du martien
n'apparaît qu'à la fin, FI. 40: c'est un suffixe -nâ, cor-
respondant au fr. -ment dans les adverbes, 2 fois, mais
dans une seule et même phrase, et dès lors sans intérêt,
car il n'a naturellement jamais été répété, et là même
on ne peut savoir s'il ne relève pas de tout autre chose
que d'un procédé suffixal; cf. les n**^ 69 et 154.
§ 3. — GRAMMAIRE
(18) La grammaire du martien est éminemment
sommaire, non pas seulement à cause du petit nombre
— 39 —
de documents que nous en possédons et qui n'a guère
permis la répétition fréquente des mêmes mots en di-
verses situations de relation grammaticale, mais aussi
et surtout parce que, des différentes formes d'un même
mot ainsi employé, il est fort difficile d'extraire plus
de trois ou quatre règles grammaticales précises et sen-
siblement invariables. Telle qu'elle nous apparaît, tou-
tefois, cette grammaire n'offre presque pas un seul
trait qui ne soit exclusivement français, c'est-à-dire
qui ne s'explique par le transport pur et simple au
martien d'un trait de la langue la plus familière, la
seule familière même à M*^' Smith.
(19) I. Le substantif, — 1"* Le genre du substantif
martien a pour indice essentiel, comme en français, la
forme de l'article, qu'Ésenale traduit en mot à mot par
« le » ou « la » suivant les cas. La conclusion qui se
dégage constamment de cette traduction, c'est que le
martien n'a que deux genres, et que les mots qui sont
masculins ou féminins en français le sont aussi, res-
pectivement, sans exception, en martien. Qu'une langue
puisse ne pas connaître la catégorie du genre gramma-
tical, ou qu'au contraire une langue puisse compter
plus de deux genres, ou qu'enfin un mot masculin en
français puisse être féminin ou neutre ailleurs, c'est là
une idée qui paraît aussi absolument étrangère à la
créatrice du martien que celle de la lumière à un
aveugle-né! Tant la grammaire élémentaire du magyar,
ou même de l'allemand, qu'elle a apprise, demeure
lettre close à son subconscient linguistique!
2^ Un seul substantif a une flexion féminine : c'est
-^ 40 -
men « ami », qui i^xlmêné « amie » ; remarquons qu'ici
le féminin est apparu le premier. Le procédé; au sur-
plus, appartient à la flexion des adjectifs, où nous le
retrouverons plus largement répandu.
3** Nous manquons de données sur la façon dont le
martien formerait des dérivés féminins plus compliqués,
soit le rapport fr. de maîtresse à maître ou de chan-
teuse k chanteur. Le cas ne s'est pas présenté : médache
«madame» a, comme en fr., un radical différent de
celui de métiche ((monsieur», etbigâ ((enfant», tou-
jours comme en fr., est des deux genres sans change-
ment.
4® Le pluriel des substantifs n'apparaît que dans les
textes graphiques, parce qu'il consiste, comme dans
Timmense majorité des mots français, en un signe qui
ne se prononce pas : c'est un caractère qui ressemble
assez au $ grec et que M. Flournoy transcrit par cette
lettre. Je suivrai son exemple. On prendra garde qu'il
est aussi parfaitement muet que Vs plural fr. ; faute de
quoi l'on s'exposerait, à fausser les concordances pho-
nétiques auxquelles sa présence ni son absence ne
sauraient jamais porter la moindre atteinte.
b"" Un seul mot martien a un signe de pluriel audible :
c'est métiche « homme », qui fait métiché (une fois,
FI. 7). A cette date ancienne, M^^® Smith n'avait pas
encore inventé l'écriture martienne, ni par conséquent
son 5 plural : ayant besoin d'un pluriel de substantif,
elle l'a calqué sur le pluriel probable de ses adjectifs,
n« 20, 3«.
6** Les relations casuelles du substantif ne relèvent
— 41 —
1 la syntaxe {n" 23), et d'une syntaxe vraiment
I monstrueuse pour le linguiste même le plus novice, à
I force de servilité à reproduire celle du français (n" 30).
(20) II. L'adjectif. — 1" Quand l'adjectif masculin
[■ est terminé par une voyelle, il se féminise par l'adjonc-
I tion d'un e muet : dimné a heureux », rficmee « heu-
f reusea.Fl. SOjcf. nw'rfée «laide yi ,béni;2êe >i retrouvée »,
\ dont malheureusement nous n'avons pas le masculin.
1 C'est du français tout pur, sans aucun doute.
3° Quand l'adjectif se termine par une consonne, il
prend -ê au féminin : cen n beau y fait cêné, mess
'i grand » fait messe, mis « un » fait misé, etc. Jepense
^ que cet é ne diffère pas au fond de \'e précédent; c'est
I toujours \'e muet fr., mais vocalisé ici par une mutation
[ martienne, pour servir d'indice audible du genre.
I Cependant il est également permis de songer ici à une
L-tnÛuence du rapport al. de schôn à sc/iône, d'autant
ique la flexion apparaît pour la première fois dans un
i. sûrement emprunté à l'allemand (cénê, FI. 6).
3' C'est en tout cas certainement à cette dernière
L langue qu'aurait été pris l'indice martien du pluriel des
^adjectifs, s'il était permis d'en conjecturer un d'après
l'analogie de méliché (n" 19, 5°), c'est-à-dire si gudé
« bons », grêoê « larges » et tant d'autres proviennent
I d'un singulier *gud, *grêc, etc., que par un fâcheux
hasard M"" Smith n'a jamais eu l'occasion de nous
I révéler .
^H^ 4" Les deux signes inaudibles, l'un du féminin des
^^^^jectifs, l'autre du pluriel des substantifs (n" td, 4").
a
— 42 —
se cumulent dans la forme unique tée^ « toutes »,
FI. 28.
(21) III. Les pronoms . — Les flexions des pronoms,
ainsi que celles des articles, sont beaucoup trop com-
pliquées et irrégulières pour qu'on les puisse séparer de
l'étude des mots eux-mêmes. On les retrouvera au
chapitre III, n°' 32-33, et cf. FI., p. 232.
(22) IV. Le verbe, — La conjugaison est de beau-
coup la partie la plus faible de l'œuvre grammaticale
de M*^® Smith. Car, pour la flexion pronominale, elle
peut invoquer l'excuse de l'état chaotique de cette
flexion en français même. Au contraire, les verbes dits
irréguliers ne forment dans toutes les langues qu'une
petite minorité, tandis qu'en martien la règle de la
conjugaison semble être de n'en pas avoir, à ce point
que, dans certains verbes {bétiné, n® 243), les formes
conjuguées ne se distinguent pas de l'infinitif. En
Tétat, l'on doit se borner à quelques constatations
éparses et disparates.
1° Quelquefois la conjugaison est très riche, mais ne
semble relever que d'un foisonnement arbitraire de
formes par voie de déformation argotique : c'est le cas
du verbe vétéche « voir », qui^ remarquons-le, est aussi
passablement irrégulier en français.
2** Dans trois cas, le signe de conjugaison est em-
prunté au français, plus exactement à la graphie fran-
çaise, par un procédé d'addition tout mécanique :
n«» 37, 6% 38, 2°, et 164.
3^ Parfois on discerne un rudiment de conjugaison
— 43 —
(umèz a fais » et umêzé « faire »), d'autant plus
insignifiant que la faible importance en est encore
infirmée par les observations qui vont suivre.
4** Le plus souvent, en effet, le verbe ne change pas
d'une forme à l'autre : pédriné «[il] quitte», FI. 14;
pérfrmé « quitter», FI. 17.
5® Ou bien, pis encore, le verbe subit un léger chan-
gement, alors que la personne reste la même : « [il]
quitte » se dit pédriné FI. 14, msiis pédr^nié FI. 34.
Observons pourtant que FI. 14 est purement auditif,
tandis que FI. 17 et 34 sont graphiques, et par con-
séquent mieuxétablis.
6** L'impératif nkle subjonctif n'ont, non plus qu'en
français, rien qui les caractérise : de ce que M^*e Smith
dit béttné a [je] regarde» et bétinié «regarde », il serait
inexact de conclure qu'elle distingue l'impératif de
l'indicatif, puisqu'on vient de voir le doublet joérfrmé
pédrinié, et que, d'autre part, elle dit aussi béiiné tout
court « regarder » .
7® L'imparfait triménêni (FI. 15) et le passé défini
sadri « chanta » (FI. 20) sont deux à'Tcaî dont la
décomposition est impossible.
8® Le passé se forme généralement au moyen des
auxiliaires. Les verbes qui en fr. se conjuguent au moyen
de l'auxiliaire « avoir » ou de Tauxiliaire « être »
prennent respectivement, sans exception, les mêmes
auxiliaires en martien: né amé «est venu», FI. 14
et 20; é nié « a été », FI. 20. Quant à la conjugaison de
ceux-ci, voir les n^' 37-38.
9^ Le futur a pour indice une syllabe -/; -, dont le
- 41 -
consonnantisme à coup sûr, et peut-être aussi le voca-
lisme (par nos verbes dits de 2® conjugaison) lui vient
du français : mâche « peux », machir « pourras». Cette
catégorie conjugable est de beaucoup la plus ferme.
'Elle serait même absolument cohérente, si Ton ne
constatait séïmiré « comprendras » (FI. 8), qui devrait
être *séïmirii\ puisqu'on a plus tard séïmiré « com-
prends» et «comprendre» FI. 15 et 37. Mais il faut
remarquer que séïmiré est la toute première forme de
futur qui soit apparue; la grammaire de ce temps ne
devait pas encore être fixée. Ou bien peut-être ^sétmir-
est-il un futur très régulier d'un radical verbal *séïm-,
cf. n** 259; et alors, ce serait par- abus et lapsus que
plus tard cette forme de futur, qui n'est pas revenue
comme telle, aurait été transportée en fonction de
présent et d'infinitif. On relèvera encore une légère
incertitude en sens inverse sur bérimir FI. 15, n® 53.
10° On ne rencontre qu'une seule forme de condi-
tionnel, ténassé, cf. n"* 134.
§ 4. — SYNTAXE
(23) Ce serait faire tort aux excellentes analyses de
M. Flournoy que d'essayer de démontrer après lui que
la syntaxe martienne n'est qu'un décalque, mot pour
mot, de la syntaxe française. Ses textes sont là, et la
preuve est faite; voir aussi mes n*'" 22, 8°, et 30. Elle
ressortira également, a contrario, du relevé, que je
garantis complet, des très rares cas d'insignifiante
divergence.
1® Construction inusitée en français : FI. 35, dabé.\.
— 45 —
ié ti takâ « maître. . . tout de pouvoir >>, pour « tout-
puissant, très puissant».
. 2^ Construction incorrecte en français: FI. 39, an-
délir,., é vi a apparaîtra... à toi ». La phrase est par
ailleurs lourde et embarrassée. On a fait observera
Léopold que M"^ Smith parle un langage par trop sus-
pect d'influence française : visiblement elle cherche à
se corriger, mais s'y emploie d'un zèle un peu gauche.
3** Ellipse d'un déterminatif t FI. 28, é^iné rabri^
ni tibra^ « nies pensées et [mes] besoins» ; sans diffi-
culté.
4° Ellipse d'un pronom : FI. 40, med légodanéni
ankôné (( pour m'aider et réjouir »; mais cf. n**^ 45
et 82. Il faudrait ranger ici : les cas énigmatiques
i-lassuné « m'approche » FI. 9, m-taninéa t'enveloppe»
FI. 14, où le pronom, s'il est exprimé, l'est par un élé-
ment tout à fait insolite; et le cas ce méï adjgi ilinée
«je t'ai bien reconnue» FL 15, où il ne semble pas
l'être du tout, puisqu'on ne peut couper m-éïy la forme
mé (( as » FI. 2 nous garantissant par contre-coup l'au-
thenticité de mec « ai ». Ce sont là, selon toute appa-
rence, de simples lapsus, comme il arrive à tout sujet
parlant d'en commettre dans sa propre langue.
§ 5. — SÉMANTIQUE
(24) I. Phénomènes de sémantique ordinaire, —
D'après les considérations exposées dans notre intro-
duction (n° 3), on a dû comprendre que le domaine que
nous abordons ici est le sujet essentiel de notre livre :
plus exactement même, le seul sujet; car tout le reste
— 46 —
n'est en réalité que travail de déblai, destiné à éliminer
de notre recherche toutes les particularités du langage
martien qui ne rentrent pas strictement dans Tétude
des mots et de leur signification. Cependant je me
ferais scrupule de consacrer aux généralités de la
sémantique un plus long développement qu'aux autres
parties de l'œuvre de M*^® Smith. La raison en est bien
simple : il ne sied point à la sémantique théorique de
dominer a priori l'étude du vocabulaire martien; c'est
au contraire à l'étude détaillée de ce vocabulaire à
nous prouver, s'il est possible, qu'il satisfait à toutes les
exigences delà sémantique théorique ; et l'on m'accu-
serait à bon droit de pétition de principe, si je suivais
une autre méthode. Le lecteur qui voudra dès à présent
se rendre compte des procédés sémantiques de la langue
de M*^' Smith, en trouvera tous les spécimens possibles
énumérés dans les chapitres IV à IX. Il ne s'agit ici
que de les classer sous les rubriques familières aux
linguistes, afin de s'assurer que, quoi qu'on doive
penser de telle ou telle étymologie martienne en par-
ticulier, l'ensemble, en tout cas, ne nous otïre rien que
nous ne soyons accoutumés à rencontrer dans le parler
usuel des langues les mieux connues.
1"* Passons rapidement sur les métonymies : — le
genre pour lespèce, mha « pavillon locomobile »,
n® 108 ; l'espèce pour le genre, alùéa élément », chèke
« papier », n^^ 42 et 61 ; — l'épithète caractéristique de
l'objet pour l'objet lui-même, chiré « fils », priant
(( flot », n*'' 62 et 125; et, inversement, l'objet pour
son épithète caractéristique, caprH « noir » (cf. fr. un
— 47 —
ruban lilas), grevé (( larges, )), n®^58 et 84 ; — Tem-
blème pour la chose qu'il signifie, :sati « souvenir »,
n° 146, cf. fr. récolter des lauriers, etc. ; — la pro-
venance pour l'objet en provenu ou la qualité qu'il
rappelle^ nnê « bleu », n® 147, cf. anglais china « por-
celaine». — Il n'y a rien là que d'élémentaire et de
parfaitement concevable.
2^ Observons toutefois que ce procédé, si simple
qu'il soit, touche de bien près déjà aux autres qui vont
suivre et prépare même les paradoxes sémantiques qui
émaillent la langue de M"' Smith comme toutes les
langues de l'univers. Ainsi, elle dit chiré « fils » qui
est évidemment le fr. chéri. Or, il n'est pas moins évi-
dent que le mot, une fois créé, restera partout et tou-
jours semblable à lui-même, et que, si elle en avait
eu par hasard l'occasion, elle eût également dit chiré
d'un fils dénaturé et maudit de ses parents. C'est ainsi
que le plus violent contraste de signification est déjà
implicitement contenu dans la plus inoffensive dévia-
tion sémantique.
3° L'association sémantique est un fécond principe
de contresens qui prennent droit de cité dans une
langue et l'enrichissent d'autant. On a appelé « tortue »
une certaine pièce d'artifice, simplement parce qu'elle
a une carapace bombée. Or, tortue ne signifie en
aucune façon « qui a une carapace » de n'importe quelle
forme : tortue seui dire « [la bête] tordue », qui a les
pieds tors. -Le mot ne saurait donc en aucune façon
évoquer Tidéede « carapace », mais la chose signifiée
l'évoque, et cela suffit : une tortue a une carapace, donc
--48----
un objet à carapace peut être dénommé tortue. La rose
a des épines, raisonne de. même le moi subconscient de
M*'® Smith : donc tout objet rose peut être dénommé
* épin, ou quelque chose d'approchant, xf 74. N'est-ce
pas, des deux parts, la même logique?
4® La suggestion sémantique, dont j'ai fait un très
large usage, n'est pas de nature beaucoup plus com-
pliquée : au lieu de se fonder sur un caractère permanent
qui accompagne partout un objet donné, elle emprunte
ses données à une circonstance fortuite et accidentelle,
mais qui se trouve associée à cet objet, au nom de cet
objet, dans une phrase usuelle, souvent répétée, passée
en proverbe. Remarquons que, dans l'exemple pré-
cédent, Tassociation sémantique se double de suggestion
verbale, à cause de la phrase connue : « Il n'j^ a pas -de
l'oses sans épines. » On sait que le sens « tromperie ».
vient au mot canard àe la phrase vieillie: (( Donner un
canard à moitié » ; or, dans cette phrase^ c'est à moitié
qui complète la pensée, et canard sans lui ne signifie
rien; cependant le mot important a disparu, et le mot
insignifiant a pris à lui tout seul un sens que rien ne
justifie. C'est un phénomène de ce genre que j'ai con-
jecturé dans le type bénèz, n° 52 ; avec un détour plus
violent et à peine vraisemblable, dans le type arvâ
n"* 47 ; mais la logique du rêve est plus hardie et plus
vague que celle d'un sujet éveillé. Il va de soi que,
partout observable, le fait n'est nulle part plus admis-
sible que quand le sujet emprunte un mot à une phrase
d'une langue étrangère dont il ne connaît que le sens
général et qu'il ne saurait traduire littéralement: bibé,
V 179.
— 49 —
5-11 reste un dernier pas à franchir: les motspeuvent
s'ordonner dans la mémoire par voie de contraste sé-
mantique, de telle sorte qu'une idée évoque l'idée
opposée, et qu'en conséquence le sujet en vienne à ex-
primer, par exemple, le concept de« plaisir » par un
mot signifiant « douleur u. Je ne dis pas que le cas soit
fréquent, et aussi ne l'ai-je guère relevé plus d'une ou
'deux fois dans le vocabulaire martien ; mais enfin il
est psychologiquement concevable, et à ce titre seul it
ne nous est pas permis de l'exclure de notre recherche.
Que dis-j'e, possible? Il se constate un peu partout.
iL'allemandyas^ signifie, de par son étymologie, " fer-
I moment, précisément », et telle a été son acception
f 'courante jusqu'à une époquefort voisine de nous; au-
'Jourd'hui. il signifie tout le contraire, « à peu près,
presque, approximativement ». Par quelle filière sé-
mantique il a été étiré pour en venir là, c'est ce qu'il
appartient à son histoire de nous dire ; mais, pour
l'instant, c'est le fait brut qui seul nous intéresse, en
tant que possible dans un langage quelconque, partant
admissible en martien. Or, qui ne voit que, si — comme
t je le crois — M"° Smith emploie au sens de « peu »
Kie fr. abondant légèrement altéré (n" 40). elle ne tait
F autre chose que réaliser instantanément sur le sens de
ce mot et objectiver à nos yeux, en quelque sorte, par
une opération mentale de la durée d'un éclair, le
travail plusieurs fois séculaire qui a changé du tout au
tout le concept exprimé par l'allemand fast^ tout de
même que le chimiste obtient en quelques minutes au
I iond do son creuset une réaction qui aux temps géolo-
'giques a transformé la face de la terre en s'ëteudanl
1
- 50 —
sur une période d'une incalculable longueur ? Ici moins
que partout ailleurs le temps ne fait rien à l'affaire : il
y a parité entre les deux phénomènes, voilà ce qui est
indéniable, et le processus identique est aussi, de part
et d'autre, également inconscient.
6** Hybride et hors cadre se classe la contamination
sémantique: sémantique, en ce qu'elle consiste à penser
tout à la fois deux mots de signification semblable,
qui se suggèrent Tun l'autre; phonétique, en ce qu'elle
fusionne par voie d'altération réciproque- les sons ou
les syllabes dont se composent ces mots. Extravagante
en ses créations, elle n'a point d'influence sur les langues
littéraires, dont le vocabulaire est graphiquement
fixé: qu'un plaisantin imagine le werhe ^accumonceler,
on rira sans doute, mais il n'en sera pas davantage.
Au contraire, les idiomes sans littérature fourmillent
de ces fusions bizarres, lapsus ordrnairement involon-
taires, qui se répandent et s'implantent de par la facilité
même qui préside à l'éclosion et au pouvoir expressif
des monstres qu'ils enfantent : récemment encore,
M. Schuchardt a vivement appelé l'attention des lin-
guistes sur l'importance qu'il conviendrait d'accorder
enétymologie à la contamination, et je crois en avoir
moi-même indiqué d'assez nombreux et probants spé-
cimens dans mon Lexique Breton, En tout état de
cause, elle n'est nulle part mieux à sa place, que dans
ces créations instantanées et fortuites, nées d'un .
moment d'émotion ou d'embarras, qui ne sont en
apparence d'aucune langue et que pourtant tout le
monde comprend. Un jour, à la campagne, je voyais
une jeune fille qui s'apprêtait à faire une promenade à
— 51 —
cheval : elle n'avait jamais monté, elle était fort
joyeuse, et un peu troublée; lorsqu'elle se sentit bien
en selle : « Pasâez-moi les rides, » dit-elle avec un
petit tremblement dans la voix, et on les lui passa,
tout naturellement. Elle avait contaminé ensemble
rênes, guides, bride, que sàis-je? et c'est à peine si l'on
s'en était aperçu. Ce qu'a fait cette jeune fille, étant
parfaitement éveillée, le moi subconscient de ^J"® Smith
s'en montre capable, lorqu'il' crée midée (n* 105),
fouminé (n^* 80), forimé (n° 79), et d'autres peut-être,
dont la clef est plus difficile à saisir. Qui s'en éton-
nerait?
(25) II. Contamination polyglotte. — Les phéno-
mènes que nous venons d'étudier ne se passent norma-
lement que dans l'intérieur d'une seule etmôme langue,
et Ton voit qu'ainsi circonscrits ils ont déjà une fort
notable portée ; mais ils acquerront une intensité sin-
gulière s'ils font la navette entre deux vocabulaires,
c'est-à-dire si le sujet connaît plusieurs langues, et
surtout s'il ne les sait qu'imparfaitement. D'abord,
parce que nous avons une vague idée de Tétymologie
de beaucoup de mots de notre propre langue, aucune
de celle des mots de l'idiome étranger, dont le vrai sens
nous échappe dès lors absolument: nous appelons
square, sans le moindre scrupule, une place triangulaire,
ronde ou polygonale, pourvu qu'elle soit plantée
d'arbres; l'Anglais, dans la langue duquel square
signifie « carré », ne saurait oublier, en prononçant ce
mot, qu'il implique une idée de forme et exclut toute
idée de végétation. Ensuite — et ç*est là la raison
— 52 —
principale — parce que les mots ont beaucoup plus de
chances de se brouiller entre eux, et se brouillent bien
plus capricieusement, lorsque, au lieu de trois ou
quatre synonymes pour un sens donné, il s'en offre à
la mémoire dix ou douze : non pas seulement, par
exemple, courage, vaillance et bravoure, mais encore
inuth et iapferkeit. et ainsi de suite. Que dire alors, si,
en plusjde la synonymie courante, Thomonymie mo-
noglotte ou polyglotte intervient à son tour, par la
voie si largement ouverte et si fréquentée du calem-
bour?
l°De la contamination par simple synonymie relèvent
quelques modifications phonétiques très élémentaires,
qui ne dépassent point la limite de celles qu'on a ren-
contrées au n® 24, G*" : ainsi, le martien a nâmi «beau-
coup », par fusion probable demg. /zémi étal, mannig^
n«198.
2** Quand la synonymie vient à se compliquer d'ho-
monymie partielle, l'altération franchit les bornes de
la phonétique: ce n'est plus la langue qui fourche, c'est
le style qui gauchit. L'Anglais qui écrivait à Fénelon
« Vous avez eu pour moi des boyaux de père » était
absolument dans son droit, en ce que boyaux et en-
trailles sont synonymes, en ce que bowels et boyaux
sont homonymes, en ce que bowels s'emploie très bien
en ce sens en anglais: bref, en tout, sauf en un point, le
point capital, l'usage du mot en français môme. C'est
exactement le cas de NP^^ Smith, lorsqu'elle emploie
le mot sanscrit attama/ia aàme », dans une phrase où
lefr. dirait dme, mais où au grand jamais lesk. ne dirait
àtmànam{FL p.299,etcf. mesn°^ 236 et270). Il y a déjà
I ■
— 53 —
là une sorte de calembourbilingue,mais(iontle résultat
en définitive ne dépasse pas les limites de la simple
impropriété de style.
3*^ Mais le calembour, même monoglotte, aboutit
très vite à l'insanité; il n'y a qu a lui lâcher la bride.
Dans ma première enfance, on me mena un jour faire
une visite à de vieilles âames dont le salon était tendu
d'une tapisserie à personnages.'' Je l'admirai; elles me
l'expliquèrent obligeamment, et me montrèrent, entre
autres, dans un coin, des matelots qui jetaient l'ancre.
L'ancre ? Je n'en avais jamais entendu parler que dans
un encrier. On eut beau me dire que c'était pour
arrêter le bateau, me montrer l'engin et l'accompagner
d'éclaircissements sans doute un peu confus : plusieurs
années après encore, je ne parvenais pas à me débar-
rasser de la vision de matelots qui, pour arrêter leur
navire^ projetaient sur les flots un liquide noir. Main-
tenant il est évident que cette confusion mentale ne
pouvait se faire jour dans mon langage: pensant a^icre
ou encre, je prononçais toujours de même, et il n'y
paraissait point extérieurement; mais, si j'eusse été
bilingue, j'aurais fort bien pu dire une fois die Tinte
werfen, et mon calembour subconscient éclatait. C'est
ce qui arrive à M^^® Smith, lorsqu'elle dit nazère pour
le verbe « trompe » (n" 248) ou tiziné pour « demain »
(n®260). Qu'on ne dise pas qu'il s'agit ici de monstres
mort-nés, qui ne méritent aucune attention ; car le|.
tératologie est une science aussi. Et puis, ces monstres
ont parfois la vie très dure: ne devons-nous pas notre
mot baccalauréat à un calembour scolaire sur le latin
— 54 —
vulgaire *bacalaris, qui étymologiquement ne contient
pas la moindre idée de « baie » ni de « laurier » ?
4** Car, lorsque le jeu de mots se fait polyglotte, il
devient impossible de prévoir jusqu'à quelles extrémités
il pourra s'échapper : il faut, tant bien que mal, en
suivre les détours sinueux, à travers les vocabulaires
qu'il parcourt avec toute la fantaisie du rêve et la ra-
pidité de la pensée. Supposons, par exemple, qu'un
sujet sachant l'allemand, le magyar et le français,
vienne à songer au cachet d'une lettre: le mot — je ne
parle ici, bien entendu, que de possibilités, mais de pos-
sibilités comme nous en avons tous vu se réaliser en nous-
mêmes, quand nous cessons de conduire nos pensées et
les laissons errer à Ta venture— évoquera son syno-
nyme sceau, et celui-ci son homonyme seau, qui se
traduira eimeren allemand; mais l'ai, eimeî^ désigne
aussi une mesure de capacité, qui s'appelle en magyar
akô, en sorte que, si le travail s*àrrête là, — et rien ne
s'oppose à ce qu'il aille beaucoup plus loin, — il viendra
un mot akô comme équivalent de « cachet « ou d'un
concept similaire. Il ne sera pas réalisé dans la vie
pratique, parce que le sujet, sortant de sa rêverie,
trouvera dans sa mémoire consciente le vrai mot et
perdra toute notion du faux équivalent; mais, si sa
conscience est endormie et son subconscient éveillé,
aucune inhibition ne s'opposera à ce qu'il substitue
l'un à l'autre; et, si un entraînement préalable l'a pré-
disposé à conserver, d'une de ses transes à l'autre, le
souvenir de ses songes, le chatoiement éphémère de
sons et de sens qui aura un instant traversé son
cerveau se fixera en un terme permanent, un mot
— 55 —
aura été créé. Dès le chapitre suivant, mais surtout au
chapitre IX, on trouvera colligées les principales
créations de M"® Smith que je crois pouvoir assigner
à ce processus compliqué. On en jugera. Mais la
question est bien moins de savoir si, dans chaque cas,
j'en ai donné une description vraisemblable, que de
décider si en lui-même et théoriquement il est possible;
et je ne pense pas qu'à aucun point de vue l'affirmative
puisse faire l'ombre d'un doute.
5® Tout à fait en dehors de ces manifestations étranges,
mais encore logiques, de l'aberration psychique, il
faudrait ranger, st on les admettait, les hypothèses de
lapsus sémantiques, soit monoglottes comme nubé
(n** 111)^ soit bilingues comme /cowmé (n** 162). Ici, tout
en demeurant dans les limites du possible, nous tou-
chons à celles de Tindémon trahie ; et l'indémontrable
n'a droit de cité dans aucune science qu'en tant qu^il
fournit un repère commode et provisoire pour des
recherches ultérieures. Ce n'est pas le cas de ces menus
faits sporadiques et partant négligeables.
— oG
CHAPITRE II
Les Noms propres
(26) Le roman martien met en scène un grand
nombre de personnages, dont plusieurs portent un
nom. II y a même une petite fille qui en a deux: Anini
Nikaïné. Comme rien n'est plus arbitraire qu'un nom
propre, il semble que ce soit peine perdue que d'en
scruter l'origine; et aussi ne l'essaiera-t-on pas pour
les noms des comparses, Eupié, Pouzé^ Sîka, Saziné,
et tant d'autres. Tout au plus pourrait-on faire observer
qu' Anini et Zitêni sont des appellations fort bien
choisies pour des fillettes, et que Mâtômi a tout Tair
d'un féminin martien du magyar Maté « Mathieu » :
particularité digne de remarque, en ce que Mathieu
est précisément, dans nos langues, un des rares noms
d'homme qui n'ont pas formé de dérivation féminine \
Mais il y a quelques protagonistes qui se détachent en
vigueur sur cette figuration monotone et terne : ils
jouent un rôle important, sont oa paraissent des réin-
carnations ou des doublures d'êtres qui ont vécu sur
terre, et il n'était pas sans intérêt de savoir si leurs
appellatifs signifient quelque chose, ou si, en parti-
1. Paniné (FI. 23) doit bien probablement son nom au grand
grammairien sanscrit Pânini.
— 57 —
luiier, leurs nom? martiens ne seraient pas, euxaussi,
s doublets de leurs noms terrestres. J'ajoute que c'est
Sette recherche, par laquelle j'ai débuté, qui m'a fait
pénétrer d'emblée parmi les procédés les plus com-
plexes delà sémantique raartienQe(cf.n'' 35). J'ai donc
j:ru qu'il y avait à la fois avantage et loyauté de mé-
4iode à faire passer le lecteur par les chemins que
l'avais suivis. Moins je chercherai à pallier mes témé-
ffités apparentes, plus il se trouvera à l'aise pour y
pdliérer ou s'insurger contre elles.
(27) I. Ésenale. — On a vu que la traduction des
fchrases martiennes en français est censée l'œuvre d'un
esprit réincarné en Mars, puis désincarné, qui vivait
fecemment encore sur notre terre. Il y portait le nom
l'Alexis MIrbel, Mirbel est un pseudonyme (FI.
b. 140);mais je me suis assuré, par lettre particulière de
. Flournoy. qu'Alexis n'en est pas un. Le problème
«i se pose est celui-ci ; y a-t-il un pont à jeter entre
tes deuxnoms d'Alexis et d'Ésenale, que porte en deux
mondes différents le même personnage?
i( Alexis » n'est pas, si l'on veut, un prénom fort
; mais il n'est pas commun non plus, et il n'y en
l pas d'autre qui lui ressemble parla finale: il n'est
donc pas étonnant que cette consonnauce tant soit peu
insolite ait fait travailler la pensée subconsciente de
M"" Smith. Remarquons dès l'abord qu'elle a eu pour
cela tout le temps nécessaire : c'est en novembre 1894
que nous apprenons l'exislonce d'Alexis dans la pia-
ièteMars, en octobre 18'J6 seulement qu'on nous révèle
)n nom piartien d'Ésenale (F!, p. 156). Deu.\ ans:
— 58 —
qrandB mortalis aevt spatium, pour une élaboration,
si compliquée soit-elle, dont le rêve eût pu brûler les
étapes en moins d'une minute !
La consonnance des deux syllabes finales A' Alexis
rappelle celle du mg. csacsi, surtout si on le prononce
à la française. Or csacsi signifie « âne » : non pas terme
générique, notons-le bien; mais espèce de diminutif
de caresse, comme on en enseigne volontiers aux
enfants. Le mot a pu jaillir des lèvres de M. Smith,
dès la première fois qu'il a montré un âne à Hélène à
peine sevrée. Traduisons maintenant en allemand, et
nous obtenons Esel, c'est-à-dire presque exactement
les deux premières syllabes du nom d'Ésenale. Et la
finale? Eh bien, c'est l'initiale même du nom d'Alexis ;
car, bien entendu, Ve final est muet. L'opération totale
peut s'exprimer par une formule d'une rigueur mathé-
matique, savoir al -\- csacsi = esel -{- al. Les deux
noms sont identiques.
Non pas tout à fait cependant : on devrait avoir
*Eselale; mais je ne pense pas que personne attache la
moindre importance à cette légère divergence, de
quelque façon qu'on se l'explique. On peut songer
tout simplement à une dissimilation d'un des deux / ;
ou à une formule de retraduction en français, soit
donc Esel « âne », dont la métathèse (cf. n** 14) donne
exactement Ésenale ; ou bien à quelque vague inter-
férence de la liaison de mots mg. éjsen allât « cet ani-
mal ». Mais, dût-on ne pas se l'expliquer du tout, on
ne s'aheurtera point, je pense, à un aussi minime
désaccord, en présence d'une concordance aussi pa;»-
faite de tout point par ailleurs.
— 59 —
Pour concevable qu'elle soit, l'opération est évidem^
ment trop complexe, pour qu'on puisse s'attendre à la
rencontrer souvent dans la formation d'un vocabulaire
qui n'excède pas 300 mots. Elle serait suspecte néan-
moins, si elle constituait un cas isolé, et je crois que
M"e Smith Ta renouvelée au moins une fois, dans éré-
duté « solitaire », n"* 245. Quant au principe en lui-
même, c'est-à-dire à la création de formes du langage
par addition d'éléments juxtaposés, il ne saurait faire
l'objet d'un doute, puisque l'application en est visible
à l'œil nu dans la conjugaison, soit ni -\- é, mé -{- i,
machir -{- i, n** 22, 2^.
(28) II. Astané, Ramié et consorts . — Dans ses
pérégrinations à travers tous les cycles qu'elle parcourt,
M^'® Smith a un guide, un conseiller, un génie tuté-
laire, qui rarement l'abandonne et intervient à temps
pour l'éclairer de ses avis et de ses leçons : sur terre
et à l'époque actuelle, c'est un désincarné nommé
Léopold ; au siècle dernier, en tant qu'elle revit son
existence passée de Marie- Antoinette, c'est Cagliostro;
dans rindé, au XV® siècle, la princesse Simandini
consulte le fakir Kanga; enfin, transportée dans la pla-
nète Mars, elle a le bonheur d'y rencontrer deux
sages, deux savants éminents^ Astané et Ramié, qui
s'intéressent à ses progrès en martien et, à vrai dire,
lui promettent beaucoup plus d'informations qu'ils ne
lui en donnent, mais à qui nous n'en sommes pas moins
redevables d'une bonne part des textes précieux édités
par M. Flournoy. Léopold et Cagliostro ne font qu'un;
cç point est expressément féyélé^ ainsi que la réii;-
~ 60 —
carnation du fakir Kanga en Astané; d'autre part,
celui-ci et Ramië sont distincts entre eux et distincts
de Léopold; mais Ramié n'est visiblement, en tant
que fonction, qu'une doublure affaiblie d'Astané ; et
enfin, — ce qui est l'essentiel, — ces cinq personnages
répondent tous à un concept unique, celui de directeur
spirituel. C'en est assez pour que M. Flournoy admette
à bon droit leur identité virtuelle. Nous le suivrons
dans cette voio, et nous nous demanderons si leurs
noms, dès lors, ne seraient pas, comme leurs per-
sonnes, apparentés entre eux, abstraits ou dérivés Vun
de l'autre . A priori, l'hypothèse serait fort séduisante ;
mais, après mûre discussion, je crois qu'il vaut mieux
y renoncer, ou plutôt la restreindre.
Léopold est apparu le premier, le 26 août 1892, et ce
n'est que postérieurement qu'a été révélée son identité
personnelle avec Cagliostro, mais dans des circons-
tances telles que M. Flournoy (p. 91) n'exclut nulle-
ment la possibilité qu'il ait eu la conscience nette d'être
Cagliostro avant qu'on lui en eût suggéré l'idée. S'il
en était ainsi, en d'autres termes si Cagliostro avait
virtuellement précédé Léopold, — le nom de Cagliostro
étant supposé prononcé à la française, c'est-à-dire le
g et 1'/ articulés à part, — il y aurait un chemin pour
passer de l'un à l'autre : détachant la syllabe jnitiale,
qui servira plus tard à former le nom de Kanga, il
reste un trisyllabe commençant par -lio-, qui a pu
fort bien suggérer les deux premières syllabes de
Léopold, surtout si Ton considère que ce prénom est
en mg. Lipôt. Certes, cette explication en vaiut une
— 61 —
autre, et en tout cas elle l'emporte beaucoup sur Téty-
mologie illuministe (FI. ibid.), que Léopold n'aurait
jamais trouvée tout seul et qu'on lui a obligeamment
souflBiée.
Mais encore tout cela n'est-il pas probable: la
genèse du nom de Léopold, datant presque des débuts
médiumiques de M"® Smith, doit être plus simple. Cet
esprit a supplanté celui de Victor Hugo dans la direc-
tion de conscience du sujet, et tout porte à croire
qu'une circonstance accidentelle a fait la transition de
l'un des noms à l'autre. M^'® Smith, qui doitêtie fami-
lière avec les œuvres de V . Hugo pour l'avoir choisi
comme premier inspirateur, a au moins entrevu un
jour la dédicace des Voix intérieur es kio^oçh-Léopold-
Sigisbert comte Hugo, et ce souvenir, si fugace quelle
en a nécessairement perdu toute conscience, est resté
empreint dans sa mémoire subliminale, qui, ayant un
autre jour besoin d'un prénom pour désigner un nou-
veau personnage, a tout naturellement fourni celui-là.
Ou bien Ton avait raconté devant M*'® Smith quelque
anecdote sur V. Htigo, du temps de son exil en Bel-
gique, où se mêlait le nom du roi Léopold P*"; ou bien
le prénom du frère de Marie-Antoinette, échappé du
cycle royal en voie de formation, a prématurément
pris corps dans le personnage qui domine cet épisode
des vies imaginaires de M*'® Smith. Que sait-on?
Chacune de ces conjectures, tout au moins, y compris
celle de Tétymologie purement verbale, cadre parfai-
tement avec cette circonstance capitale, que Léopold,
qui sait tant de choses, ne sait pas du tout d'où lui vient
— 62 —
son propre nom : le hasard qui le lui a imposé est un
fil d'araignée trop ténu pour avoir laissé trace dans le
réseau de ses souvenirs.
Poursuivons. Si Cagliostro n'a pas engendré Léopold,
a-t-il pu engendrer Kanga? Chronologiquement oui : le
cycle hindou est postérieur au cycle royal, bien que
plus tard ils évoluent parallèlement. Au point de vue
verbal, la première syllabe de Cagliostro, moyennant
une nasalisation et Taddition d'une finale sanscritoïde,
donne aisément Kanga, ^ Mais ce n'est encore là qu'un
simple possible, que n'étaie aucune preuve. Il est bien
plus vraisemblable que le nom de Kanga ait été pris
tout fait dans le roman pseudo-oriental qu'a dû un
jour feuilleter M*'® Smith (n°" 2 et 8), et dont elle ne se
souvient non plus que de la dédicace des Voix inté-
rieures. Quoi qu'il en soit, jusqu'à ce qu'un biblio-
graphe nous déterre ce roman, la question demeure
en suspens.
Jusqu'ici le terrain a cédé sous nos pas ; mais il va
s'afïermir. Par quel procédé M^^® Smith a-t-elle extrait
de cette syllabe Cag- le mot mg. dg, qui signifie
« branche ))?La simple aphérèse est difficilement con-
cevable pour un mot aussi court; mais, de quelque
manière qu'elle s'y soit prise, il est certain qu'elle l'a
fait. Le grand sage de Mars s'appelle Ast-ané, c'est-
à-dire, sans difficulté, aL as ^ « branche », suivi d'une
suffixation martienne (n® 17, 4^).
Et, si l'on voulait tenir pour fortuite cette coïnci-
dence si remarquable, je demanderais alors par quelle
récidive du hasard la doublure diAst-anése nommé
- . st;
— 63 —
Ram-ié, soit exactement le radical du fr. rameau^ qui
à son tour est la traduction de Tal. ast^ également
accompagné d'un autre suffixe martien?
Il y aurait folie à expliquer tous les mots créés par-
M^^® Smith, puérilité peut-être à le faire alors même
qu'on le pourrait; mais, sur ce point particulier, je
crois en avoir dit assez pour emporter la conviction.
— 64 —
CHAPITRE ni
Les petits mots
(29) Il y a lieu, je pense, de commencer par éliminer
ce que j'appelle les petits mots, articles, pronoms,
menus adverbes, verbes auxiliaires, etc., qui ne sont
d'aucune langue, pour ainsi dire, par la raison que
dans toutes ils se présentent sous une forme semi-
atone et de prononciation rapide qui ne permet guère
à l'esprit d'y attacher son attention, en sorte que le
sujet parlant qui y cherche des substituts se trouve
tout naturellement amené à remplacer tel monosyl-
labe, qu'il estime arbitraire, par un autre monosyl-
labe également arbitraire, ou dont tout au moins le
mode de création nous échappe. Ici donc notre étude
se confinera presque dans la statistique, sans toutefois
négliger les rapprochements assez clairs pour valoir
la peine d'être relevés.
§ 1*^ — LES ARTICLES
(30) L'initiale de l'article défini est une sifflante, qui
oscille entre la sourde et la sonore, mais avec une pré-
férence marquée et définitivement victorieuse pour
celle-ci: toujours zé « le », 15 fois, plus une fois élidé
— 65 -
dans ^ah'^é(( rélément » (cf. n^ 42) ; ci, une fois, et^i,
3 fois, « la )) ; cée^ une fois,^ée, 2 fois, et :?é, une fois,
(( les ». On a déjà vu que la répartition des genres est
exactement celle du français. La syntaxe de l'article
partitif n'est pas moins calquée sur la construction
très spéciale de cette langue : ti mmé tensée (FI . 30)
(( de meilleurs moments » ; et jusqu'à ti ^i ma^êtô
(FI. 27) (( de la peine ». En présence de pareils faits,
il est superflu de se demander où M"® Smith a pris
son article : c'est une déformatian quelconque et de
pur caprice des monosyllabes français à ce affectés.
(31) L'article indéfini est beaucoup plus intéressant,
parce qu'il a une forme bien mieux caractérisée ; il en
a même deux. La première fois que M}^^ Smith l'a
employé, elle a dit tivé (FI. 8) « d'un » : liaison où l'on
ne peut savoir si « un » est vé ou ivé, puisque « de »
se dit ti et pourrait être élidé. J'incline à croire qu'il
fauj; suivre la seconde alternative, et couper t'ivé, où
ivé représenterait mg. egyiloé, « en un, ensemble »,
cas factitif du numéral mg. egy « un », entendu jadis
par le sujet dans quelque phrase usuelle et retenu
comme tel sans aucun soupçon de sa valeur gramma-
ticale.
Quoi qu'il en soit, ce mot mort-né n'a paru qu'une
seule fois, et a été aussitôt remplacé par mis
« un », 9 fois, auquel il faut joindre misé « une »,
3 fois. J'ai suivi bien des pistes pour retrouver la filia-
tion de ce monosyllabe, qui ferait penser au grec (xia
(( une », s'ilnous était permis de supposer (jue NP^*" Smith
sût un peu de grec. Aucune n'étant satisfaisante, j'in-.
;>
— 66 —
dîque en passant la moins invraisemblable. Une fois
créé le mot tivé, il a pu être coupé et compris ti vé
et la syllabe vé a évoqué l'idée de l'ai, toeh « mal J>,
lequel à son tour a évoqué Tidée du préfixe al. miss-,
si souvent traduit par « mal », par exemple dans des
juxtapositions telles que miss -handeln « mal-traiter ».
Le chemin paraît bien détourné; mais j'ai déjà dit
(n'*25, 4^), et Ton verra par la suite, que la genèse
des mots par voie de calembour est un procédé familier
à notre sujet et justifié par le flottement de toutes les
images dans le rêve ou même dans la rêverie,
§ 2. — PRONOMS PERSONNELS ET POSSESSIFS
(32) Nulle part plus qu'en ce domaine ne règne dans
la grammaire de nos langues un beau désordre appa-
rent. Le radical de chaque pronom varie au hasard:
Je y moi, mon, notre; il, le, son, leur, etc. ; sans qu'au-
cune loi semble régir ces caprices. M"' Smith ne
manque pas de transporter ce chaos dans la planète
Mars, et même de l'y compliquer.
V^ personne. — Cas-sujet: ce « je », 16 fois. — Cas-
régime, sans distinction, non plus qu'en français, entre
l'accusatif et le datif: si « moi », 6 fois; lé « me »,
8 fois. — Pluriel, sans distinction, non plus qu'en
français, entre sujet et régime, nini « nous », 6 fois.
— Possessifs : ê:;i « mon », 14 fois ; é^é « ma », 3 fois ;
éjsiné (( mes » 4 fois ; vtche, une fois, et icfie, 6 fois,
« notre ». — Le fr. je zézayé a suggéré ^é, qui
apparaît à l'état pur dans le possessif, mais s'est
— 67 --
assourdi en se (écrit ce) dans le pronom, ainsi. que le
prouverait au besoih, de surcroît, Télision de la voyelle
dans saline F\, 11, qu'il faut lire s'aliné « j'oublie ».
L'initiale de nous se reconnaît sans peine dans nini,
La forme lé semble tirée de me par simple substitu-
tion à la consonne de la consonne immédiatement pré-
cédente dans l'alphabet (cf. n® 13, 5^). Les autres
types sont peu clairs : iche rappelle l'ai, ich par la
forme et l'ai, uns par le sens; son doublet viche est
considéré par M. Flournoy comme un simple lapsus ;
quant à si, il se rattache sans doute à se = ce « je ».
2' personne. — Cas-sujet : dé « tu », 10 fois. —
Cas-régime, comme plus haut: vi « toi », 14 fois;
di (( te », 19 fois. — Pluriel : sini a vous », une fois.
— Possessif : ché « ton », 13 fois; chée « ta », 5 fois ;
chi (( tes », une fois; a votre » est inconnu. — Le
changement de dentale dans dé et di a été suggéré,
soit par l'ai, du et dich, soit aussi et principalement
par la métathèse de sonore et sourde qui s'est produite
dans la juxtaposition fr. de te (FI. 7) devenue mt. ti
di, La forme. i?/ emprunte assez étrangeriient son ini-
tiale au fr. vous, de politesse sans doute, tandis que
sini paraît être l'ai, sie « vous » de politesse, affublé
d'une finale venue de nini, La chuintante du possessif
est apparue tout au début du martien, à une époque
où W^^ Smith manifestait une prédilection marquée
pour cette consonne, et elle n'a probablement pas
d'autre raison d'être (n°« 16 et 17, 1").
3^ personne. — Sujet : lied « il » et « ils », 7 fois ;
le féminin n'apparaît pas. — Régime : -jc « le », 4 fois;
— 68-
pi a lui )), une fois; le féminin n'apparaît pas. — Pos-
sessif : bi « son », 2 fois; bé a sa », et bée « ses »,
chacun une fois. — Ici le désordre est à son comble : la
rareté en martfen de la consonne h accentue le carac-
tère énigmatique de la forme hed^ qui ne rappelle que
l'anglais Ae, alors pourtant que l'auteur du martien ne
parait pas savoir l'anglais ; la labiale, sourde dans pi,
sonore dans bé, etc., n'est pas moins déconcertante;
en somme, il n'y a de clair que ^é « le », reproduction
pure et simple de l'article défini, comme en français.
4P Réfléchi : r^ès a se », 3 fois. — La première fois
que le mot est apparu, c'est dans la juxtaposition 7*ès
pa^é FI. 23, traduite « se retire » : l'initiale de ce
dernier groupe est ser^ dont la métathèse (n*^ 14) est
/*es. Une fois ce monosyllabe admis au sens de « se »,
il a été reproduit tel quel deux fois ailleurs. Cf. n° 118.
§ 3. — DÉMONSTRATIFS ET RELATIFS
(33) Cette catégorie est très pauvre.
1^ Tés (( ce », et aussi « cette », en tout neuf fois ;
tésée (( cette », une fois; tésé « ces », 2 fois; il ne faut
pas être grand clerc pour dénoncer l'influence de
l'ai. dies-ei\ etc.
2^ Dodé (( ceci », 2 fois : imitation allitérante du
fr. ceci, rappelle le grec toOto, ou a pris sa consonne
à l'ai, dies, ou bien a simplement remplacé une lettre
française par sa voisine dans l'alphabet. Cf. n° 13, 5**.
3^ Kâ <( qui », 4 fois, et ké « que », 6 fois, pour tous
les genres et nombres, comme en français, ne dissi-
mulent pas leur origine.
— 69 —
§ 4. — MENUS ADVERBES
(34) 1"* Ci « là », une fois, n'est pas sûr (FI. 4), mais
probable, puisqu'on a aussi ^^ et :si « là », chacun
une fois. En tout cas, le fr, ci {ici) et l'homophonie
avec l'article les expliquent suffisamment.
2® Le même élément se laisse discerner, joint à
d'autres plus obscurs, dans : azini a alors », plus exac-
tement (( ensuite », FI. 17; et atrizi « là-bas », dont
on rapprocherait le sk. dira n ici », si l'on pouvait
croire que M^^® Smith en eût connaissance.
3° Par contre, va « où » (4 fois) se réclamerait du
sk. teà((où?», qu'elle semble connaître et précisément
altérer en va (FI. p. 295), si l'ai, wo ne fournissait un
répondant moins éloigné et presque aussi exact. Peut-
être est-ce une contamination de l'un et de l'autre,
4** Éni (( ici » (3 fois) et anâ (5 fois) « maintenant »
ne répondent à rien de précis et ne sont que des
créations démonstratives relevant du langage enfantin.
§ 5. — MENUES PRÉPOSITIONS
(35) V (( De » se dit ti, cf. n° 32, 2**, mot qui revient
41 fois. Comme en français, il se combine avec l'article
défini masculin ou pluriel : té « du », 6 fois ; tiê « des »,
3 fois; mais non avec l'article féminin^ cf. n® 30. Ce
décalque du français est la naïveté même !
2^ (( A » se dit é, 14 fois, dont une fois traduit par
c( vers », FI. 11 : simple changement de voyelle. Com-
— 70 —
biné avec Tarticle défini, il devient assez étrangement
ine « au », 2 fois, pour lequel Tal. in ne fournit qu'une
analogie trop lointaine.
3** (( Par )) s'est dit une fois U (FI. 28) et une fois
uni (FI. 31). Il est oiseux d'insister sur un petit mot
aussi rare et aussi peu fixé.
4° Med (( pour » (5 fois) a pu naître sous l'influence
de l'ai, mit « avec ». Je ne vois pas autre chose à en
dire. On trouvera encore d'autres prépositions à leur
fang alphabétique,
§ 6. — MENUES CONJONCTIONS
(36) 1« (( Et » s'est dit une fois se (FI. 12), qui est à
peu près la métathèse du mg. es (n** 14). Partout ail-
leurs il se dit ni (17 fois) : on en peut rapprocher le
fr. m, qui est un (( et » négatif, ou l'exclamation
mg. ni « vois donc », ou enfin, à raison de l'homophonie
en français, les formes du verbe (( être » (n° 37).
2^ La négation, calquée sur le fr. ne.,, pas, com-
porte deux mots : à « ne » répond ké ou kié, respecti-
vement 5 et 3 fois; à « pas », ani, 3 fois. Phonétique-
ment, l'un rappelle l'ai, kein n aucun », et l'autre le
fr. ne, le tout beaucoup trop vaguement pour qu'il y
ait le moindre intérêt à s'y arrêter.
3** La combinaison de « et » et de la négation res-
semble aussi peu que possible à l'un ou à l'autre :
c'est un mot béjs « ni », qui au surplus n'apparaît qu'une
seule fois. En vertu de la concordance / > b, conjec-
turée au n® 8, on en pourrait rapprocher, par voie de
— 71 —
calembour, le mg. féssek, qui précisément signifie
« nid )).
4** L'exclamation ké « que », soit au sens de
« comme » ou « combien », soit en tant qu'indice du
subjonctif (en tout 5 fois), ne diffère pas plus qu'en
français du pronom relatif.
5°/i « si [fait] », une fois, est l'aLya « oui » avec
transposition vocalique à l'aigu.
6** C'est ici enfin, faute d'une meilleure place, qu'on
rangera l'exclamation i « ô » (7 fois), qui est, comme
l'a fait remarquer M. Flournoy, un bon exemple de la
transposition à l'aigu que subit le vocalisme européen
pour passer au vocalisme martien.
D'autres conjonctions plus importantes viendront à
leur rang alphabétique.
§ 7. — LE VERBE (( ÊTRE »
(37) Cette conjugaison est, comme on s'y doit atten-
dre, formidable de complication, surtout eu égard au
peu de formes qu'on en possède. Le mieux est de com-
mencer par les plus simples : il en est une, mais fort
peu usitée, qui reproduit exactement le fr., à savoir é
« est » FI. 27 (une seule fois).
V Mais cet «i^aî n'est probablement qu'un lap-
sus ; car, partout ailleurs, « est » se dit né, soit par
homophonie partielle avec « et » (n" 36, 1^), soit sur-
tout par influence de l'exclamation mg. ne « tiens » .
Le mot revient 21 fois, auxquelles il en faut ajouter
deux pour anéa c'est », qui recèle en outre une forme
— 72 —
dédémonstratif a ou an- qu'on rapprochera des types
ci-dessus du n® 33.
2^ Le même consonnantisme apparaît au pi. oné
(( sont ))(2 fois), avec une sorte de préfîxation dont la
genèse est obscure.
3® Mais, à la l"*^ personne, on constate un radical êv-,
dont on ne saurait guère que dire, sinon que sa con-
sonne peut avoir été suggérée par le magyar: la
forme est (?ré « suis » et revient 4 fois.
4" Bien que le même mot soit traduit différemment,
et conjugué pronominalement, il est reconnaissable
dans êvé de la phrase répétée deux fois identiquement,
FI. 5 et 6, ké di êvé dé w ne te tiens-tu » ; car le sens
revient à « n'es-tu ». Il n'en est pas moins remarquable,
en tant que tout à fait contraire aux habitudes du
sujet, que deux mots aussi différents que « suis » et
(( es » aient le même répondant martien.
5^ En tout cas, le radical êv- est répété à satiété
sous la forme de l'impératif: évaï ix sois », 11 foi».
6° Enfin, on a une fois le participe nié « été », naïve-
ment formé, comme le fr. ét-é, par l'adjonction d'un é
au mt. ni « et » (observation déjà faite par M. FI.).
§ 8 . — LE VERBE (( AVOIR »
(38) La conjugaison n'est pas moins étrange que
celle du verbe « être » ; mais nous en possédons bien
moins de formes.
1^ La plus usuelle est é « [il] a », 5 fois dont 2
comme verbe auxiliaire : homophone évident de é « à » '
(n« 35, 2°), comme en français a et à.
— 73 —
2^ En tant qu'auxiliaire, on a>ane fois mé « [tu]
as », dont la nasale initiale m'est un mystère. Comme
fr. ai^=^a-\- i graphiquement, M^^® Smith a tiré de ce
mé, par le même procédé d'addition tout extérieure,
une l'^' personne méi « [j'] ai », qui n'apparaît également
qu'une fois.
3® Est-ce l'homophonie de éa est » et é « a », est-ce
le rapprochement sémantique des deux verbes, ou
toute autre cause, qui a introduit dans le verbe « avoir »
le radical év-m être » ci-dessus? Quoi qu'il en soit, il
semble bien émerger dans évênir « [tu] posséderas »
(une fois), qui pourtant est susceptible d'une autre ex-
plication (n« 274).
74 —
CHAPITRE IV
Le Vocabulaire irançais
(39) He travail de déblai terminé, il ne reste plus
qu'à suivre Tordre alphabétique, en rangeant chaque
mot martien sous le vocabulaire auquel il paraît le
plus vraisemblablement emprunté. Je répète ici que
je ne me dissimule nullement le caractère hypothéti-
que de beaucoup de mes rapprochements; mais, pour
plus de sûreté, je les qualifierai moi-même, à Toeca-
sion, de « douteux » et « très douteux ». Il en est que
je n'indique que par acquit de conscience, pour si-
gnaler une piste et permettre à d'autres chercheurs de
trouver mieux.
(40) 1^ Abadâ « peu », une seule fois, dans la locu-
tion mis abadâ « un peu » : suggère, avec jargonne-
ment enfantin, le fr. abondant, d'où il a pu en effet
sortir par voie de contraste sémantique . Douteux .
(41) 2** Acâmi « astronome », une fois: l'idée
d' « astronome » suggère celle de « savant », et celle-ci
celle d' « académie » ; on observera la longue médiale,
qui semble compensatoire de la chute de la pénultième.
(42) 3** Alizé « élément », 2 fois: il s'agit d'un élé-
ment subtil, dans le genre du fluide des spirites : cette
-- 75 -^
idée suggère celle de « vent », et celle-ci le mot alizé
qui, en sa qualité de mot non usuel et savant, demeure
intact.
(43) 4^ Animinâ « existence », 2 fois: c'est le fr.
animé « vivant », avec suffixation arbitraire.
(44) 5** Anizié « envoie », une fois: pourrait être
une métathèse avec changement de sourde en sonore,
du fr. assigner, lequel aurait été suggéré par consi-
gner, terme qui en technique commerciale revêt
couramment le sens d' a envoyer » ; or M^^® Smith a
suivi la carrière commerciale et entend ce terme vingt
fois par jour. Douteux poi^rtant ; cf. n® 65.
(45) 6^ Ankôni « réjouir » une seule fois, tout à la
fin, FI. 40. Le texte porte lé godané ni ankôné « me
aider et réjouir », et Fon est amené à se demander s'il
n'y a pas eu interversion de sens entre les deux verbes,
d'autant que, suivant les habitudes à peu près inva-
riables de M}^^ Smith, le mot fr. aider commençant par
une voyelle, le mot mt, corrélatif devrait aussi com-
mencer par une voyelle et causer élision du pronom-
régime. Cela posé, si goddné signifiait « réjouir » et
ankôné a aider • », on reconnaîtrait dans ce dernier les
deux premières syllabes du fr. encourager, avec suf-
fixation arbitraire. Très douteux, mais sans aucune
importance, vu l'isolement et la date tardive du mot.
Cf. n«« 4 et 82.
(46) 7^ Antéch « hier », 2 fois : c'est le fr. antique,
ou plutôt les deux premières syllabes du fr. antérieur,
avec suffixation du type adverbial, n® 17, 3^.
- 76 -
*
(47) 8^ Arvâ « soleil », 4 foisi A sa première appa-
rition, le mot a été traduit comme nom propre, FI. 14;
mais, là aussi sans doute, il doit déjà désigner le soleil,
car autrement la phrase n'aurait guère de . sens :
« Arvâ nous quitte, sois heureux jusqu'au retour du
jour». L'idée de « quitter» a suggéré la salutation
à i^evoir, usuelle entre gens qui se quittent (à ce point
de vue il serait intéressant dé savoir si à Genève on dit
à revoir ou au revoir), et celle-ci, légèrement altérée,
ayant pris le sens de « soleil » dans cette phrase inau-
gurale, l'a conservé ailleurs. Douteux.
(48) 9® Assilé a immense.», 3 fois: semble une
simple métathèse altérée de ali;sé, n^42; l'idée d'(( élé-
ment » peut aisément suggérer cell^ d'(( immense».
(4Sf) 10® Badêni « vent », une fois, dans une scène
maritime ou fluviale, FI. 27. On dit « le vent bat les
flots », en sorte que, dans un langage métaphorique
et enfantin, où l'éfjithète devient le nom commun, le
vent peut fort bien être appelé (de battant ». Au ra-
dical de ce participe présent s'ajoute ensuite une
suflBxation quelconque. Très douteux, et toutefois là
supposition trouve un appui dans l'emploi parallèle
dejonam au sens de « flot », à une ligne de distance.
(50) IV Bana « trois », 4 fois. Mot bien diflScile :
peut-être un vague ressouvenir d'une leçon de géo-
graphie sur les Confins Militaires Hongrois, où il
était dit qu'ils sont divisés en trois parties, Croatie,
Slavonie et Banat.
(51) 12° Ba^ée « courte », une fois: fr. basse. Les
— 77 -
deux concepts de « court )) et de « bas » sont facile-
ment associables, au point de vue tout à la fois ma-
tériel et moral.
(52) 13^ Bénèz « retrouver », une fois, et hénézée « re-
trouvée », 2 fois, tout au début. Il y a un mot mg.
henézni qui signifie « jeter un coup d'œil sur » ; mais
le sens concorde trop peu. Il ne faut sans doute pas
chercher si loin : une phrase française telle que « béni
soit le jour où je te retrouva ! » — - tout à fait dans le
ton des phrases où apparaît bénez-, — suffit ample-
ment à expliquer l'emploi d'un de ces radicaux au
sens de l'autre. Douteux pourtant.
(53) 14^ Bérnmù^ a reviendra », une fois. Ce mot a
comme un faux air de fr. revenir, et en fait il en est
l'aniagramme moyennant les substitutions très admis-
sibles v'> b et n> m. Il est vrai que, normalement,
'ir étant finale de futur, le radical serait bérim- tout
court ; mais on sait que M^^^ Smith n'est pas fort con-
séquente dans sa grammaire (n® 22, x9®). La question
serait sans importance, ce bêritair étant un aira^, si
primi (n® 285) n'en paraissait une répétition altérée.
De toute façon, très douteux.
(54) 15® Bisti ((habitant», une fois: semble une
simple altération jargonnante de habitant,
(55) 16® Brimai (( paroles » une fois. En comparant
ce mot à brimi (( sagesse » , brid (( sagesse » , ébrinié
(( pense», rabri\ (( pensées», qu'on retrouvera à leur
rang alphabétique, il est impossible de ne pas songer
— 78 —
à un radical -6n-, qui signifierait « penser, parler »,
et s'accompagnerait de suffixations et préfixations
diverses. Or ce radical pourrait fort bien être abstrait
du mot fr. esprit, soit au sens spirite, soit au sens
d' (( intelligence » ; il n'y faut qu'un passage de sourde
à sonore. De plus^ comme dans la phrase FI. 17 il
s'agit d'(( écrire » des «paroles », l'm suffixal de bri-
mai peut avoir été suggéré par celui du fr. imprimer.
Le tout bien indécis.
(56) 17« Brimi (une fois, FI. 22) et 18« bri::i (une fois,
FI. 28) « sagesse » : sans importance; voir le n® 55.
(57) 19^ Bun (( moyen )), une fois. Le « moyen »
suggère r(( issue »,et, s'il est bon, la suppose « bonne »:
soit donc, métathèse de issue, avec changement de
sourde en. sonore, et préfixation de l'initiale de bonne.
Très douteux, et cf. n'^ 287, 5«.
(58) 20^ Capin « noir », une fois. La première fois
qu'enfant W^^ Smith a vu des (( câpres », elle a pu être
frappée de la « noirceur » de ce condiment dans la sauce
blanche, et associer les deux idées. Possible, mais
douteux; d'ailleurs insignifiant.
(59) 21« Carimi « fenêtre », une fois : fr. caireau^
avec suffixation arbitraire.
(60; 22^ Chandéné « délicieux », une fois : suggéré
par le radical du fr. en-chant-eur, avec passage de la
sourde à la sonore et suffixation martienne.
(61; 23** Chèke « papier », mot isolé : emploi arbi-
— 79 —
traire du mot chèque, suggéré par Tidéede « papier
[commercial] ».
»
(62) 24^ Chiré « fils » , 5 fois : métathèse évidente du
fr. chéri \ le mot n'apparaît que dans des phrases de
vive tendresse.
(63) 25® Chodé, mot non traduit, une fois. La scène
est aquatique, FI. 27 : le mot pourrait donc signifier
« jet d'eau », dont il serait la métathèse vocalique^
avec changement en sourde de la sonore initiale.
(64) 26° Dabé « maître », 2 fois. L'argot français a
un mot dab, « père, patron » : la présence d'un terme
d'argot dans le vocabulaire de W^^ Smith n'a rien en
soi de surprenant, en tant que résidu fortuit d'une
lecture quelconque; cf. n** 138.
(65) 27® Dassinié indicatif et da;siné subjonctif « [il]
garde », chacun une fois : extension de sens du verbe
fr. assigner. Cf. n® 44.
(66) 28® Départir « répondra », une fois : futur mar-
tien, formé sur un radical abstrait du verbe fr. dire,
plus exactement du participe disant, cf. n®» 49 et 125.
(67) 29'' Dimé a semblable », une fois : métathèse
probable du fr. demi, puisque rien ne se ressemble
plus que les deux moitiés d'un même objet.
(68) 30® Divine « heureux », et féminin divinée, en
tout 10 fois : dérivation manifeste dé fr. divin, sug-
gérée par.une locution telle que « [félicité] divine ».
— 80 —
(69) 31® Dùênd « profondément ))^ au sens de « re-
cherche profonde », une fois, tout à la fin, FI. 40 :
vague influence du verbe fr. discerner. Bien douteux,
car la finale -ênâ parait suffixale ; cf. n® 17, 5"*.
(70) 32« Dorimé (( sain », une fois : métathèse pos-
sible du fr. modéré, dont Tidée est connexe de celle
de a bien portant ».
(71) 33*^ Duméïné <( ancienne », une fois, FI. 11.
Alexis a dit à sa mère terrestre mode (( mère » ; puis
il se reprend, — car elle n'est plus sa mère, puisqu'il
en a une autre, étant réincarné dans Mars, — et il lui
dit duméïné mode. Cette correction a pu amener Tidée
de la conjonction du moins, qui raccompagnerait
presque inévitablement en français, et c'est celle-ci
qui, avec une suffixation martienne, a assumé la fonc-
tion de l'adjectif « ancienne ».
{72) 3^"" Durée a terre », 2 fois. Une métathèse de
l'ai, erde n'explique pas le vocalisme; cf. n® 245.
Beaucoup plus probable est l'influence d'une locution
fr. telle que « [la] dure [terre] » ou « [coucher sur la]
dure », d'autant que, la première fois au moins que le
mot a été prononcé (FI. 7), c'est par un habitant de
Mars, avec un sentiment de profond mépris pour notre
infortunée planète.
(73) 35® Ébrinié « [il] pense », une fois, cf. n® 55.
Comme la pensée ici est passionnément tendre, on
peut aussi songer au fr. épris, qui expliquerait l'ini-
tiale.
— 81 —
(74) 36^ Épùi (( rose », adjectif, une fois : suggéré
par rassociation des mots rose et épine dans mainte
phrase usuelle; puis apocope et suffixation arbitraire.
(75) dfT Espênié, nom propre qui désigne le paradis
martien, 2 fois : suggéré par les peintures enchante-
resses de Y Espagne des romans et des romances.
(76) SS** Éssat « vivant », une fois, et éssaté « vivre )),
deux fois : contient visiblement le radical du verbe
« être » ; comme ce radical n'apparaît nettement en
fr. que dans le mot savant essence, peut-être vaut-il
mieux recourir à Tital. essere, qu'on peut connaître
sans être polyglotte.
(77) SQ"" Fimès « [je] meurs », une fois : l'initiale
rappelle fr. Jin, et la médiale fr. mort. Douteux,
mais sans importance : la phrase FI. 13, proférée en
pleine extase, n'est qu'exclamations entrecoupées.
(78) 40^ Finaïmê « senteurs », une fois : suggéré
par le fr. « [odeur] fine », avec une finale de suffixation
assenante, cf. n*'^ 16 et 239.
(79) 41® Forimé « marques [d'écriture] », une fois :
le ir, forme est bien voisin ; mais le terme commercial
firme, en tant que « marque commerciale », convient
mieux au sens, et M^^® Smith, employée de commerce,
doit le posséder familièrement ; peut-être y a-t-il eu
contamination de l'un et de l'autre.
(80)42® Fouminé « puissant », 3 fois : contamination
possible des deux mots fr. fougueux et formidable.
Douteux, quoique, dans la première phrase où le mot
6
— 82 —
est apparu (FI. 27), l'une et Tautre épithète soient
parfaitement à leur place.
(81) 43^ Garnie a il pleure », une fois : peut sortir
d'une métaphore facétieuse telle que « [chanter la]
gamme ». Peu importe : le mot appartient à la phrase
inintelligible FI. 33, où il y a presque autant d'énigmes
que de mots, et dont le sens a été violemment brouillé
par la volonté subliminale du sujet.
(82) 44"* Godané « aider », une fois, mais cf. n° 45 :
le sens « réjouir » s'apparierait à merveille au fr. [se]
gaudir ou à l'ital. godere. Si l'on veut s'en tenir au
sens « aider », je ne vois de ressource, bien détournée,
que dans la locution anglaise God [help] « Dieu aide »,
dont le second mot aurait suggéré le premier. Douteux
en tout cas.
(83) 45^ Grani « corps », une fois, dans la même
phrase que valini a visage », FI. 18 : dérivation àsso-
nante, sur un radical gran-, qui paraît abstrait du
fr. grand. La personne dont il s'agit est « maigre » :
par conséquent, elle doit être ou paraître « grande ».
L'absence du d final, que le fr. ne prononce pas, ne
fait guère difficulté, cf. n°« 49, 66, 125, etc.
(84) 46^ Grê\^é « larges», une fois: dérivé du fr.
grève. L'idée de « largeur » peut suggérer naturelle-
tnent celle de « grève », et l'on peut avoir vu des grèves
très larges sans même avoir jamais quitté les rives
du lac de Genève. Peu sûr.
•
(85) 47*' Hantiné « fidèle », 4 fois. L'/i est fort rare
-83-
enmt., et, comme le fr. ne le prononce pas, on se
trouve amené à l'assigner de préférence à un emprunt
al. ou mg. : c'est pourquoi ma première pensée avait
été pour Tal. hund « chien », emblème de la fidélité;
mais le vocalisme est en défaut. Toute réflexion faite,
le verbe fr. hanter est plus proche, et la seule objec-
tion qu'on y voie, c'est son caractère peu usuel ; mais
il est fort littéraire, et les phrases qui contiennent
/mn^/né ont précisément aussi un cachet de style un peu
recherché. La suffixation -iné est des plus communes
en martien .
(86) 4SP Idé « on », 3 fois, a On », par contraste avec
(( il », etc., est un personnage qui ne se laisse pas voit*
en chair et en os, mais dont on a simplement Vidée.
Je me hâte d'ajouter que cette explication idéologique
me paraît à peu près désespérée.
(87) 49^ Iminê « mince », une fois : soit une filière
d'idées telle que « mince > aminci > diminué », et la
contamination de ces divers mots, ou d'autres encore.
(88) 50^ Iné et inée, « adorée, bien-aimée,», 4 fois :
l'ai.' innig a intime » convient peu ; plutôt terme dé
caresse enfantin, cf. fr. mignon, minet , etc., avec
aphérèse.
(89) 51^ //»/• (ô'^buv>ent »^ une fois: suggère le fr.
réitéré, qui a dû nécessairement s'écourter beaucoup
pour traduire un si petit adverbe.
. (90) 52^ Malâmé '« accomplir » [un désir], une fois,
tout à la fin, FL 40: accomplir un désir, c'est l'apaiser,
le calmer. Douteux^ niais sans réelle importance*
— 84 —
■
(91) 53® Kavivé « étranges », une fois : étant donné
que kâ signifie « qui », ka-vivé pourrait se décom-
poser en « qui vive ! » exclamation qu'on pousse lors-
qu'on entend ou voit un objet insolite.
(92) 54® Kêmâ « mâle », une fois : métathèse sylla-
bique du fr. mâle, où la lettre /a été remplacée par
sa voisine immédiate dans l'alphabet. Très douteux.
(93) 55® Ktn'fche « quatre », une fois à la toute
première apparition du martien encore informe : alté-
ration arbitraire et jargonnante du fr. quatre.
(94) 56® Léziré « souffrance » , une fois : dérivé évi-
dent du fr. léser ou lésion.
(95) 57® Luné « jour », 6 fois. Ici l'on a beaucoup de
choix : ou fr. lune, astre de nuit, par contraste sé-
mantique ; ou fr. lundi, ital. lunedï, par lequel com-
mence l'énumération des jours de la semaine ; ou, plus
simplement, un radical lu-, abstrait de luire, lumière,
etc. , sur lequel s'applique une suffixation martienne.
(96) 58® Mabûré a grossier »^ une fois. L'idée sug-
gère celle de « bure »^ ou même de « [vêtement] en
bure », juxtaposition qui pourrait aussi s'orthographier
ambure, dont mabûré est la métathèse exacte.
(97) 59® Maprinié « entré » , une fois : contamination
grossière de eni/'éetjo^né^ré, avec la syllabe en- écrite
am- puis métathésée comme ci-dessus ; le mot appar-
tient à la phrase inintelligible FI. 33, ce qui pourrait
légitimer cette explication contournée et bizarre, mais
en même temps la rend inutile.
— 85 —
(98) 60"* Mazêté « peine », 2 fois : le mot suggère
ridée d'une « masse » difficile à mouvoir ; suffixation
arbitraire.
(99) 61^ Médache « madame », une fois : jargon du
début du martien, où la chuintante joue un rôle pré-
pondérant. Cf. n"' 93, 102 et 104.
(100) 62® Médinié « entourent », une fois : les deux
premières syllabes viennent de médi-terranée , que
toutes les géographies enfantines définissent (( mer
entourée de tous côtés par les terres ».
(101) 63** Mervé « superbes », une fois : fr. merveille y
ou les deux premières syllabes de merveilleux,
(102) 64P Métaganiche « mademoiselle », une fois,
le même jour que médache.
(103) 65** Mété « tendre », une fois, dans la juxta-
position allitérante mété mode « tendre mère ». L'idée
de « mère » a suggéré « maternel » , qui a été écourté
et jargonné.
(104) 66® Métiche, « monsieur, homme », 5 fois, et
métiché « hommes», une fois : seul mot du jargon de
l'extrême début (cf. n^^ 17, lo, et 99) qui ait survécu,
grâce à son adaptation postérieure au sens général
d' «homme )), phénomène que M. Flournoy a expliqué
avec une élégance que je lui envie (p. 241).
(105) 67® Midée « laide », une fois: contamination
probable des deux mots misère et hideux.
— 86 —
(106) 68« Afï7é, mot non traduit, une fois, FI. 19;
mais, vu Thabitude de M^^® Smith démultiplier numé-
ralement ses adieux, la phrase miléptri mira ne peut
guère signifier que « mille fois adieu ». On a donc ici
le fr. mille. La raison pour laquelle on n'a jamais pu.
obtenir d'Esenalela traduction de milépirij est peut-
être précisément que mile, venu par lapsus, ressem-
blait trop à son prototype français et aurait rendu le
martien suspect. Par le même motifs quand M^^® Smith
a voulu employer encore le mot « fois » , elle n'a plus
dit piri, et Ta remplacé par un zézaiement enfantin et
jargonnant, ^i^a^i, visiblement fabriqué pour la cir-
constance : cf. n<>« 120 et 228.
(107) 69® Mima « parents », une fois : réduplication
enfantine et caressante du radical ma-, suggéré par
fr. maman.
(108)70^ Mi;saj une fois /désigne une sorte de kiosque
ou de pavillon roulant dans le rêve incohérent FI. 23:
je suppose que c'est le fr. maison, avec transposi-
tion vocalique enfantine ou martienne.
(109) 71^ Mûné « moment, instants », trois fois :
déformation vocalique du fr. minute, avec chute de
la finale.
(110) 72"" Nipuné « crains », 2 fois, et nipunêzê
« craindre », une fois : l'association de l'idée de
(( crainte » et de celle de « punition » est tout à fait
conforme à la psychologie infantile ; quant à la forma-
tion du mot, j'inclinerais à croire que nipu est la
— 87 —
métathèse exacte du fr. puni, et que la ou les syllabes
finales sont de suffixation.
(111) 73« Nubê « curieux », une fois, FI. 35. Le
jour où Ton montre à M"® Smith ce tableau a curieux »,
elle ne le voit pas. Est-ce aller trop loin que de con-
jecturer qu'en cet instant le mot nébuleux est venu
interférer dans sa mémoire et a fourni par métathèse
syllabique initiale la traduction de Tépithète ?
(112) 74"* Orié « frapper », au sens de « heurter »,
une fois: malgré la divergence apparente et purement
graphique, c'est le fr. heurter, à peine altéré en pro-
nonciation.
(113) 1^^ Palette a calme » impératif, une fois, tout
au début, FI. 4: abstrait du fr. palliatif i( calmant »,
mot savant il est vrai, mais compris de toutes les per-
sonnes instruites. Douteux pourtant.
(114) 76° Pâlir « temps », une fois. Si Ton avait
^padir, la métathèse du fr. rapide, naturellement
suggéré par l'idée de « temps », sauterait, je pense,
aux yeux. En l'état, 1'/ est embarrassant, quoique son
échange avec le d soit phonétiquement facile. Très dou-
teux, mais sans aucune importance, d'autant que VI
peut venir de l'association du mg. repïd « il vole »,
également naturelle.
«
(115) 77° Parenté « [il] laisse », une fois: l'idée de
(( laisser » suggère aisément celle de « négligence »,
et par suite le mot fr. paresse,
(116) 78° Pastri « san^ », une fois : que l'idée de
- 88 -
(( sang», dans une scène médicale, où figure un ins-
trument à trois tubes, amène sur les lèvres du sujet
le nom de Pasteur, c'est la vraisemblance même ; la
finale est martienne, assenante à bodri, cf. n®^ 16
et 251.
(117) 79® Pavi « joie », 3 fois; pavi a heureux »^
une fois, et pavinée « joyeuse », une fois : paraissent
abstraits ou dérivés des mots fr. pavillon, paoier,
pavoiser, etc , qui s'associent bien à une idée de
(( joie ».
(118) 8(yPa^é (( retire ». une fois, FI. 23: il s'agit
de la main de Paniné, qui doit « se retirer », et par
conséquent « repasser » par l'ouverture par laquelle
elle est sortie ; les deux locutions susdites se conta-
minent en (( se repasser », dont la métathèse absolu-
ment exacte est rès pa^é, cf. n** 32, 4"*.
(119) 81*" Pi « très », une fois : paraît n'être que
l'initiale altérée du fr. bien (superlatif).
(120) 82« Piri, mot non traduit, cf. n® 106 : si l'on
admet le sens « fois », on peut songer au fr. « [à mille]
reprises », avec semi-métathèse ou épenthèse voca-
lique.
(121) SS^'Pit (( sans », 2 fois : petit mot bizarre qui
semble une déformation violente du fr. vide, dont
ridée est connexe.
(122)84^ Plêva « chagrin » (adjectif), une fois. Mot
difficile, à cause depéliché et pélésse (n° 249), auxquels
il ressemble à laj fois trop et trop peu. Pour moi, je
-^ 89 —
Ten séparerais plutôt, pour le rattacher au iv. pleurer.
Le V peut venir du fr* pleuvoir, suggéré par la quasi-
homonymie et Taïialogie de sens.
(123) 85** Polluni « question », une fois : contami-
nation possible des deux mots fr. problème et solution.
(124) 86^ P ovine et povini « arriver », chacun une
fois : à rapprocher de vinâ^ n^ 143; c'est le îr. parvenir,
à peine altéré par un adoucissement qui rappelle les
inflexions créoles.
(125) 87* Priâni « flot », une fois : cf. fr. brillant.
Dans un vocabulaire par épithètes, où a le vent » est
« le battant » (n** 49), il est fort admissible que « le flot»
soit dit « le brillant »; la finale est assonancée avec
badêni. Mais tout cela est cruellement hypothétique.
(126) 88* Rabri^ « pensées », une fois: voir n^ 55;
mais je ne m'explique pas la préfixation, à moins de
quelque contamination des mots raison, réfléchir, etc.
(127) 89* Ris « sur », 3 fois : fr. sur, avec méta-
thèse et changement vocalique.
(128) 90* Sandiné «longtemps», 2 fois: Tidée, en
se précisant, peut se fixer à « cent ans », soit donc
peut-être une adaptation martienne du fr. centenaire.
Cf. un procédé similaire n* 189 .
(129) 91^ Suî'ès « [tu] crois », une fois : ce que Ton
« croit », on en est volontiers « sûr »; dérivation évi-
dente du fr. sûr, assurer, etc.
(130) 92* Taméche, une fois, non traduit; mais,
comme il est question d'un arbuste en buisson, il est
assez naturel de penser à l'initiale du fr. tamarix avec
finale martienne.
(131) 93« Taniré « prends » (impératif), une fois :
transport pur et simple du verbe tenir y suggéré par
l'exclamation française « tiens, prends » ; rien de plus
naïf.
(132) 94"* Tapie, une fois, non traduit, désigne une
vision étrange, qui se déroule sans doute comme un
« tableau» ou une « tapisserie », FI. 32; contamination
de ces deux mots.
(133) 95** Ten a près », 12 fois : abstrait du radical du
fr. at'ten-ant.at'ten-iî^ etc, ; ces mots sont peu usuels,
mais « tenir à » exprime la même idée; cf. le suivant.
(134) 96* Ténassé a [je] voudrais », une fois: c'est
lé radical du verbe tenir [à] au sens de « vouloir » ; si
la finale est empruntée à l'imparfait du subjonctif fr.
de 1'® conjugaison en vue d'exprimer le conditionnel^
pe cas est un des très rares où le sujet accuse quelques
traces de sens grammatical.
(135) 97"* Tensée «instant », 3 fois : c'est l'anagramme
exact du fr. instant, où la voyelle nasale initiale est
remplacée par une voyelle simple de finale martienne.
(136) 98^ Tou^é « même »,une fois:. soit la locution
f r. tout ainsi, avec syncope intérieure et finale altérée ;
ou la première syllabe de tout de même^ avec suflBxa-
tion arbitraire. Rien de tout cela n'est bien satisfaisant.
(137) W'Tranéi « passage », une fois ; il est aisé de
— 91 —
reconnaître la syllabe ^ra-, abstraite de tra-jetet autres
mots; mais peut-être bien ^e complique-t-elle d'une
contamination du fr. traînée, dont tranéi est la méta-
thèse gj;uphique lettre pour lettre . On observera que
précisément ce texte est graphique. La connexité des
idées est fort suffisante.
(138)100** Trimait « force », 2 fois: dérivé du verbe
d'argot fr. trimer. C'est, avec dabé, le seul mot d'argot
que paraisse connaître M^^® Smith : cette proportion
n'a rien d'excessif, d'autant que trimer a passé dans
la langue familière. Le suflSxe vient, par assonance,
de ma^i qui précède.
(139) 101** Tîiné « parler », 4 fois, et trinir « par-
lera » , 2 fois : comme tous les gens qui « parlent »
martien parlent pour « enseigner » quelque chose à
W^^ Smith^ la seconde syllabp du mot fr. doctrine se
présente invinciblement à l'esprit ; mais, d'autre part,
il semble difficile de séparer tout à fait triné de tor-
viné (( langage », n° 210. Douteux.
(140) 102<> Tmé « malade », 2 fois. Mot bien diffi-
cile: le mg. dûhôsség « rage [du chien] » est bien
éloigné à tous égards, et le fr. usé peu satisfaisant ;
si l'on se décide pour ce dernier, le t initial peut pro-
venir d'une liaison naive, résultant de ce que le mot
précédent est néj équivalent du fr. « est », dans la
phrase FI. 29, où tu^é fait sa première apparition; il
n'a été répété que dans la phrase inintelligible FI. 33.
(141) 103® Uri (( soir », une fois: l'idée de « soir »,
— 92 —
implique ôbsc-uri-té, mot trop long, par rapport à
celui qu'il devait traduire, pour ne pas subir un violent
écourtement.
(142) 104* Véche « vu », véchêsia voyons »,' véchi
« [tu] vois », véchir « verras », vétéche « voir », cha-
cun une fois : altérations diverses d'un radical imité
du verbe voir. Le mot est né au début du martien,
dans la période de prépondérance de la chuintante.
(143)105^ Vinâ « retour », 2 fois, ct.pootné, nn24:
constructions élémentaires sur la base du radical du
verbe fr. venir.
(144) 106** Vizêné « distinguer », une fois : dériva-
tion martienne du fr. vision, qui, en tant que mot
savant, a pour M^^® Smith un sens plus technique que
le simple sens de « voir » ; peut-être aussi viser. '^
(145) 107" Zabiné « arriéré », une fois, FI. 35:
peut-être, avec métathèse et suffixation martienne,
fr. bas au sens de « dégradé » qui se dit des races
sauvages. Très douteux : tous les mots commençant
par J sont des àîraî presque indéchiffrables ; heureu-
sement il n'y en a pas beaucoup.
(146) 108** Zati « souvenir », une fois : suggestion
des deux dernières syllabes de myosotis (vergissmein-
nicht), fleur du souvenir.
(147) 109** Ziné « bleu », une fois : peut-être altéré
et dérivé de Chine, à cause de la belle couleur bleue de
certains vases chinois : au surplus, le mot fait partie
de la phrase inintelligible FI. 33.
— 93 —
(148) En somme, déduisant même tous les cas dou-
teux,, il semble qu'un bon tiers du vocabulaire mar-
tien vienne, par voie plus ou moins détournée, du
français seul.
94 —
CHAPITRE V
Le Vocabulaire allemand
(149) 1° Andélir « apparaîtra », une fois, FI. 39.
Le mot a ici le sens tîe « être en relation, avoir com-
merce fréquent avec » : soit donc, avec semi-calem-
bour, adaptation de Tal. handeln « traiter, com-
mercer », que M^^*' Smith doit bien connaître.
(150) 2^ Bindié « [il] trouve », une fois : conjugué
sur le radical de TaL Jinden « trouver », cf. n** 8.
Presque sûr.
(151) 3** Bounié « chercher, [il] cherche », chacun
une fois : malgré ce qu'il peut y avoir de forcé à tirer
deux mots martiens d'un seul mot allemand, le rapport
étroit de signification des mots « trouver » et « cher-
cher » ramène irrésistiblement la pensée au même
\evhe Jinden, mais cette fois sous sa forme de parti-
cipe passé gefunden, ou au substantif qui en est issu,
fund (( trouvaille ».
(152)4® Cen « beau » et céné « belle », chacun une
fois : al. schôn « beau ». Si Ton croyait nécessaire
d'expliquer la mutation de la chuintante initiale en
sifïlante, la contamination par le mg. s^ép a beau » ne
souffrirait aucune difficulté. Sûr.
■K-lo.
— 95 —
(153) 5° Chinit « bague », mot isolé : al. schniU
(( taille, coupure », soit parce qu'une bague semble
(( couper » le doigt, soit à cause de la « taille » des
pierres dont elle est ornée, etc. Douteux, mais sans
aucune importance.
(154) 6° Ébanâ « lentement », une fois, tout à la fin
(FI. 40), sans importance : le sujet doit avoir songé à
Tal. eben « uni », qui ne concorde point exactement
pour le sens; toutefois un pas « égal » est un pas
plutôt « lent ».
(155) 7° Gudé « bons », une fois : malgré le cî, il y a
plus de probabilité pour Tal. gut que pour l'anglais
good, parce que la première de ces langues doit être de
beaucoup la mieux présente à l'esprit du sujets
cf. n'* 166; en tout cas, l'étiiprunt est manifeste*
(156) 8^ Haudan « maison », une fois, tout au début.
M.Flournoy fait observer avec beaucoup de finesse que
haudan est calqué, consonne pour consonne et voyelle
pour voyelle, sur maison. Mais cela ne nous empê-
chera pas de reconnaître dans la première syllabe
l'ai. haus. Quant au d médial, il demeure énigmatique.
(157) 9° Hêné « s'élever », une fois : al. hôhe
(( hauteur » et [sich er^]hôhen a s'élever »; il est
assez curieux qu'ici, contrairement aux habitudes de
M^^® Smith, le pronom « se » soit sans équivalent.
(158) 10« lé et iée a tout, toute », 3 fois; iée^
(( toutes », une fois : ce mot, qui a de bonne heure
remplacé is (n° 188), a pu être abstrait de locutions
al. très usuelles telles que werje « tous ceux, qiii »,
— 96 —
wasje (( tout ce qui », etc., oh je prend en effet le sens
de « tout )). A peine douteux.
(159) 11"* Ilinée « reconnue », uue fois, a remplacé
cévouitche (n° 182) : c/est Tal. [sich] evinnern « se
rappeler », très peu altéré ; car /• > / est de phonétique
courante.
(160) 12** Iinâ (( ciel », une fois : il est impossible de
méconnaître Tal. himmel.
(161) 13"* Kirimé « prudent », une fois, et ct.pocrimé
« science », n<* 167 : les deux sens se concilieraient
admirablement par un rapport avec Tal, hirn « cer-
veau » ; mais le phonétisme serait ici trop altéré.
(162) 14<* Koumé « fondre », une fois. Il y a homo-
phonie parfaite de Tal. kuinmer « chagrin »; or, préci-
sément, la phrase (FI. 8) est « fondre tout ton chagrin » :
la coïncidence est-elle fortuite? Il se* peut que kummer,
suggéré par Tidée de « chagrin », soit, si je puis ainsi
m'exprimer, parti trop tôt à la manière d'un ressort
qui s'affole, et que dès lors, utilisé pour exprimer
(( fondre », il n'ait pu Tétre pour « chagrin». Douteux»
(163) 15° Lassuné et lassunié « approche » (impé-
ratif); lassuné « [il] approche »; ilassuné « [je] m'ap-
proche » : chacun une fois. Ce mot est - cruellement
embarrassant. On voit, d'abord, que la conjugaison
n'obéit à aucune règle : cela est vrai surtout de la»
forme ilassuné, qui devrait être Hé-lassunè, n"* 32, 1**;
mais, à l'époque dû elle est apparue (FI. 9), la gram-
maire de ]M"® Smith était encore tout à fait chaotique.
Quoi qu'il en soit, prenant lass- comme radical du
— 97 —
verbe, on ne sait vraiment à quoi le rattacher. En
désespoir de cause, j'ai songé à une image de piété,
comme il en existe beaucoup, représentant la scène
(( laissez les enfants s'approcher de moi » : si Tinscrip-
tion de celle que M"® Smith a eue quelque jour sous
les yeux était rédigée en allemand, elle commençait
par lass-et [die kinder...], et ce radical a pu ainsi
s'associer à Tidée de s'approcher ; mais, bien entendu,
je ne donne la conjecture que pour ce qu'elle vaut.
(164) 16° Moche a [je] peux », 4 fois; machir « pour-
ras » et machiri « pourrai » (pour Yi final, cf. le n'* 38,
2**), chacun une fois. Le premier de ces mots est sûre-
ment l'ai, [ich] mag, peut-être contaminé de [ich]
mâche, parce que « pouvoir » c'est généralement
« pouvpir faire ». Les deux autres sont des formes
conjuguées', d'allure martienne très régulière.
(165) 17° Mané « père », une fois : c'est l'ai, mann
« homme, époux », peut-être avec une confusion par-
tielle du radical de mima, n° 107.
(166) 18° Mode « mère », 14 fois : toute la question
n'est qu'entre l'ai, mutter et l'anglais mother, celui-ci
mieux concordant au point de vue du phonétisme,
celui-là sûrement mieux connu du sujet ; cf. n° 155.
On observera que les mots qui reviennent le plus sou-
vent sont aussi, en principe, les mieux explicables par
un emprunt manifeste.
(167) 19° Pocrimé « savoir », une fois : cf. kirimé,
n° 161 ; mais, en tout cas, je ne vois absolument aucune
donnée qui rende compte de la préfixation apparente.
7
— 98 —
(168) 20<» Poénêzé « quelques », une fois. Ici, la pré-
fixation po~ pourrait relever du procédé de Tallitéra-
tiori, n*^ 16; car le mot (FI. 11) est immédiatement
précédé du mot povini, cf. n<* 124. Cette quantité
déduite, il reste -énèzé, qui s'applique presque lettre
pour lettre sur Tal. einige « quelques ».
(169) 21"* Radziré « prononcer », une fois, FI. 15,
dans une phrase où en fait l'emploi du verbe « parler »
conviendrait beaucoup mieux : al. reden « parler »,
avec léger jargonnement et terminaison martienne;
presque sûr. ^
(170) 22^ Rénir « portera », une fois, FI. 18, dans
une phrase où le vrai sens est « apportera » : futur mar-
tien sur un radical rén-, qui, sauf aphérèse initiale,
rappelle de bien près celui deTaLôrm^r-en «apporter».
(171) 23° Tihra\ « besoins », une fois : cf. Tal. trieb
a instinct ». Les deux idées sont connexes, et la pho-
nétique concorde à. merveille, sauf une métathèse des
plus simples. Douteux pourtant : le terme al. n'est pas
de ceux que M"® Smith a pu aisément connaître et
familièrement retenir.
. (172) 24** Tourna^ « charmes », une fois: cf. al. tau-
mel (( vertige, ivresse, paroxysme de joie ». Le pho-
nétisme va bien, comme le montre imâ venu de himmel^
n*» 160. Douteux pourtant : il est difficile que M"® Smith
connaisse ce mot peu usuel.
— 99
CHAPITRE VI
Le Vocabulaire magyar
(173) Avant d'énumérer les mots martiens qui peu-
vent être ramenés immédiatement aux vagues sou-
venirs de magyar que le subconscient de M"* Smith
a dû retenir de propos tenus en sa présence par son
père, il convient de rappeler brièvement les règles de
prononciation, d'ailleurs très aisées, de cette langue
souple, sonore et mélodieuse.
Les voyelles se prononcent à peu de chose près
comme en fr. ou en al. : Vu, comme al. m, et Vit comme
fr. u ; les voyelles accentuées sont les longues ; mais
Ta non accentué, bref par conséquent, prend un timbre
plus sombre, à peu près intermédiaire entre a et o
ouvert. Enfin, il faut noter tjue, dans certains dialectes,
les voyelles longues subissent, du fait seul de leur lon-
gueur, une légère modification de timbre qui les fait
presque confondre, savoir respectivement : Va avec la
diphtongue ua (fr. oua ou oi), et Vé, avec un i long.
Naturellement, je ne suis pas en mesure de décider
si et dans quelle mesure la prononciation mg. de
M^^® Smith a subi, de par Torigine de son père, Tin-
fluence de ces dialectes ; mais certains indices ten-
draient à le faire supposer, cf. n**^ 181, 210 et 223.
Parmi les consonnes, il n'y a de vraiment remar-
quable que les consonnes mouillées, c'est-à-dire suivies
- 100 -
d'un y y ôemi-voyelle qui a la valeur générale de Vy du
mot fr. yeiix ou du^ al. ; et, parmi celles-ci, il faut
noter spécialement les deux groupes dj et gy, qui
sont absolument équivalents : la consonne qu'ils repré-
sentent est une palatale mouillée, c'est-à-dire une ar-
ticulation qui n'est exactement ni un g ni im rf, mais
tient de l'un et de l'autre, et confine un peu, quoique
plus fuyante, au g italien de oggi. Lorsqu'elle s'eflEace
davantage encore, ce qui. n'est pas rare en pronon-
ciation rapide, elle se réduit presque à un simple y, et
les deux syllabes qu'elle sépare semblent n'en plus
faire qu'une, un peu allongée, en sorte que des liaisons
telles que igy et même egy ont pu fort bien ne
laisser à l'oreille et surtout à la mémoire auditive de
W^^ Smith que l'impression d'un simple i, A plus forte
raison en faut-il dire autant de ly et lj\ c'est-à-dire de
1'/ mouillé, qui en fr. courant même ne se distingue
plus de la semi- voyelle y.
Les sifflantes et chuintantes sont nombreuses et va-
riées ; mais la distinction n'en a guère d'importance
pour le parler de W^^ Smith, dont Toreille, la mémoire
ou l'organe paraît les confondre entièrement entre
elles, soit par zézaiement enfantin, soit par changement
de sourde en sonore, où- réciproquement, ainsi qu'on
va le voir. J'en rappelle toutefois la valeur aux lecteurs
qui seraient désireux de prononcer correctement les
motsmg. cités: s, comme cAfr. ou sc/ial.;s^, comme
s fr., toujours sourd en toute position; :Sy comme z fr.,
sonore de l'articulation précédente ; ss, comme combi-
naison de ^ et s mg. , c'est-à-dire avec la sonorité du
a di o
- 101 -
• «
•'•
.• • •
premier et le chuintement du second, soit d^nc comme
j fr. ; c, comme ts fr. ou -s' al., en toute posttibn; es
enfin, comme combinaison de c et 5 mg., c'es^àr^dire
à peu près comme tek fr. dans les transcription^ "de
mots slaves.
Ces notions sommaires suffiront amplement pour seT.-;*:
rendre compte des équivalences phonétiques admises •.•.•/
par la linguistique subliminale de M^^® Smith. '•*,•:
«
(174) 1^ Adi et adjsi « bien » (adverbe), chacun une
fois : abstrait de locutions mg. très usuelles, telles que
adja Isten a plaise à Dieu », adjon Isten « bonne
chance » (souhait), qui contiennent le verbe adni
(( donner » ; le groupe mg. dj explique très bien l'alter-
nance de d^ et d tout court dans le mot emprunté;
la locution ne faisant par sa fréquente qu'un mot
pour ainsi dire, Isten « Dieu » est tombé, comme
seraient tombées les deux dernières syllabes d'un
tétrasyllabe quelconque. Me parait sûr.
(175) 2^ Amé « venu », 2 fois; améir « viendras »j
une fois; amès « viens » (impératif), 8 fois; amès « [je]
viens », 2 fois; ami « [il] va' », une fois: en tout 14
fois. Ce mot, des plus uçuels, se recouvre, par le radical,
et même par certaines de ses formes, avec le mg.,
menni « aller » : il suffit de comparer ami avec mg.
megy « il va », et amès avec mg. megyesz ou mésjs
« tu vas », en tenant compte de ce qui a été dit de
la pronopciation du groupe egy, n** 173. Quant à
améir, c'est une forme normale de futur martien. Le
préfixe peut n'être qu'une addition arbitraire; mais,
••
« u
» »
•
' • • .
m * ''
102 —
• '»
plus pKoWblement, il y faut voir un souvenir du verbe
mg. /à^'p/éfixe àtmenni a passer, traverser », ce qui
explique l'emploi du verbe mt. à la fois dans le double
4
sens. d' « aller » et de « venir ». -
• *
*/%V/(176) 3** Asnète, mot isolé, désigne une espèce de
^ ''V^aravent: peut se rattacher à un vague souvenir du
' *' mg. hàznemû [û long) « mobilier »; au surplus, sans
aucune importance.
(177) 4** Avé « vieil », 2 fois: à la rigueur, ce pourrait
être le mot fr. déformé; mais il ressemble davantage
au mg. vén « vieux »; quant à l'initiale a-, on peut
songer, si l'on veut, à une contamination par l'ai.
ait.
(178) 5** Amni « mal » (adverbe), une fois: le mg.
a alacsony « de mauvaise qualité, bas », etc. Rappro-
chement douteux; mais le mot n'apparaît que dans la
phrase FI. 33.
<
(179) 6° Bibé « capable », une fois. Mot très cu-
rieux: le mg. a bibe m petite blessure, bobo, point dé-
licat », qu'il emploie dans des locutions telles que
eltalàltad a bibeje « tu as mis le doigt dessus », donc
« tu es très malin» ou « très débrouillarde », etc.;
c'est une phrase de ce genre, happée par M^^® Smith,
peut-être dans un petit compliment que lui adressait
son père à la suite de quelque preuve précoce d'intelli-
gence enfantine,* qui lui a fourni très naturellement la
traduction du mot « capable ».
(180) 7* Bigd « enfant » de l'un et de l'autre sexe.
- 103 —
5 fois, Lemg, zjia « son fils, son petit », mot extrême-
ment usuel, par exemple dans des locutions comme
toron-y fia « l'enfant du clocher », désignant « un
petit clocher » par opposition à son jumeau plus grand.
Le g médial, assez surprenant, peut procéder de la
contamination du 3 initial de mg. gyermekn enfant ».
Quant au b initial, voir n°8 in fine. Douteux pourtant;
mais je ne vois pas mieux.
{181} 8" Boaa « frère », une fois: c'est l'initiale du
mg. bàtya « frèro aîné n.avec la prononciation signalée
au n" 173, qui se développe plus aisément après con-
sonne labiale que partout ailleurs ; toutefois le timbre
vocalique fait aussi songer à l'ai, bruder k frère», et
peut-être y a-t-il eu contamination légère du fait de
ce dernier.
{182) 9° Cécouitche « [je] reconnais », au sens de
H reconnaître avec affection, vive tendresse » (d'un fils
à sa mèrej. Ce mot n'est apparu qu'une fois, tout au
début ; puis il a été remplacé par ilinée, cf. n" 159: il
faut donc qu'il ait été formé asse/, artificiellement et
n'ait occupé qu'une place d'arrière-plan dans te sub-
conscient de M"" Smith. Par toutes ces raisons, la
pensée se reporte à quelque mot mg. qui, sans être
inusité, n'appartienne pas cependant au langage de tous
les instants, à un dérivé du mg. sriv h cœur », et plus
particulièrement à n^ioesség n tendresse de cœur » ,
dont le consonnantisme serait assez fidèlement repro-
duit. Cf. n"362.
(183) 10" Cr
— 104 —
signe une sorte d'hirondelle de mer: le mot n'est pas
fort répandu, et il est douteux que M^^® Smith ait eu
occasion de Tentendre ; toutefois son père a pu lui dé-
signer une fois sous ce nom un oiseau fluviatile ren-
contré au long des berges du Léman.
(184) lt<* Danda « silence », une fois: dans le mg.
csendes « silencieux », la vraie initiale, ne Toublions
pas, est un t, n*» 173 ; soit donc changement initial de
sourde en sonore, par assimilation de l'initiale à la
médiale, mais le rejet deVs suivant est embarrassant.
Douteux, mais c'est un à'Tra?.
(185) 12° Érié « âme », 2 fois: parait construit, par
changement de liquide (cf. n" 13, 2*", et 159), sur le ra-
dical du verbe mg. él-ni « vivre », mais plus précisé-
ment sur la forme de beaucoup la plus usuelle de ce
verbe à savoir l'exclamation éljen. . . « vive ... ! » qui
apparaît surtout avec netteté dans le suivant.
(186) 13** Ériné « satisfait », une fois: soit une déri-
vation martienne sur éljen\ cf. le précédent et le verbe
éljenej^ni « pousser des vivats ».
[Etéche (( toujours » : voir n** 189.)
(187) 14'' li (( si » devant un adjectif (lat. tam), 3 fois.
Le mg. a igy, igy^i^y « ainsi, de cette manière », et
ilyen « tel » : de part et d'autre le phonétisme est irré-
prochable, cf. n° 173. L'origine mg. parait donc infini-
ment plus probable qu'un rattachement à ii « si fait »,
que nous avons ramené à l'ai, ya, n** 36, 5*". Maisiln'est
pas douteux que l'homophonie des deux si en fr., déjà
— 105 —
observée par M. Flournoy, n'en ait entraîné Thomo-
phonie en martien, par contamination réciproque des
mots mg. et al. qui leur ont servi de base.
(188) IS'^/s « tout », une fois. Fi. 4. Ce mot n'a pas
vécu : il a été remplacé par té, n° 158; mais, bien que
mort-né, il paraît avoir déposé en martien le germe
d'une postérité adverbiale, cf. n®» 276-277. Il se ramène
sans peine au mg. egés;s, dont le sens répond, non à
celui de l'ai, ail, mais à celui de l'ai. gan;s; or on re-
marquera que c'est plutôt dans le sens de garijs qu'il
a été employé.
(189 le** Itèche et étéche « toujours », chacun deux
fois : il n'y a donc aucune raison extérieure de préférer
l'une des deux formes à l'autre, en tant que correcte-
ment martienne ; il n'y en a pas non plus de raison in-
trinsèque, bien que étéche soit apparu le premier ; car,
évidemment, itèche peut tout aussi bien être une cor-
rection qu'une corruption de étéche. Je crois que la
première de ces deux hypothèses est la bonne, et que
itèche reproduit plus fidèlement le vocalisme de l'em-
prunt au mg. idôs « âgé » ; le phonétisme final est bien
concordant, et le changement médial de sonore en
sourde ne fait pas diflBculté. Quant au passage d'un ad-
jectif d'âge au sens d'un adverbe de temps, on com-
parera sandiné, n° 128; et l'on prendra garde, en outre,
que le mg. idô signifie « temps », et a pu à lui seul
suggérer le sens « longtemps », qui est tout connexe
à celui de « toujours ».
(190) 17° Ivre « sacré », une fois. Ce mot, en tant
— 106 —
qu'il ne figure que dans la phrase inintelligible FI. 33,
pourrait fort bien se passer d'explication. Mais la con-
cordance phonétique avec le mg. iorét « in-folio » est
trop parfaite pour qu'il jsoit permis de l'omettre. On
remarquera que les livres « sacrés » affectent de préfé-
rence un format élevé. Douteux pourtant: où M"' Smith
aurait-elle appris le nom magyar d'un in-folio?
(191) 18° Kiné a petit », une fois, tout au début :
mg. kicsiny « petit », avec syncope de la médiale,
peut-être par une contamination du mg. kônnyû
« léger », et sous une vague influence de l'ai, klein
(( petit ». Voir aussi niké, n** 200.
(192) 19** Kramâ (( panier », une fois. Le mg. garabô
« panier » n'est que dialectal et d'ailleurs diffère sen-
siblement. On ne le cite que pour être complet; car le
mot fait partie de la phrase inintelligible FI. 33.
(193) 2Qf^ Lâmi a voici », 3 fois: transport presque
pur et simple de l'exclamation mg. lâm<{ vois donc » ;
c'est l'évidence même.
(194)21** Maniké «attentive » [à regarder], une fois:
transport, avec légères altérations vocaliques, du mg.
megné^-nr\ ou peut-être, à cause de la gutturale de la
syllabe finale, megné:^gél-nij « considérer, examiner »,
entendu un jour sous la forme de l'impératif.
(195) 22^ Manir a écriture», une fois:mg. iromâny
(( écriture »; en métathèse, l'articulation ny s'est con-
tractée avec Vi initial ; il ne manque à l'appel que l'o
médial^ dont l'accentuation est très faible. Nous avons
— 107 -
. ' • . ' ,. -
ici un exemple frappant de la manière toute mécanique
dont M^^® Smith forme ses mots: mg. -inàny, qui n'est
qu'un suffixe sans signification, occupe ici la place
d'honneur, et l'élément significatif ir- est presque dis-
simulé. Cf. aussi le n** 255.
(196) 23® Ma;2i « avec », 2 fois: l'idée de « avec
[quelqu'un] » évoque naturell^ement cellede « un autre»;
mg. mas « autre » ou même mâsik « autre », avec
changement de chuintante sourde en sifflante sonore.
(197) 24** Mess « grand », 4 fois, et messe « grande»,
une fois. Un radical commençant par un m et signifiant
« grand » ne peut que satisfaire un indogermaniste;
mais, comme il est peu probable que M^^' Smith con-
naisse le sk. mahàt, ou le gr. fiéYa;, ou l'ai, michel,
ou même le lat. magnus, mieux vaut encore recourir
au mg. magas « haut ». Le vocalisme, il est vrai, et la
disparition de la médiale font difficulté ; mais, en re-
vanche, le sens est excellent; car mess s'est dit d'abord
et de prédilection du « grand homme Astané », et le
mg. emploie aussi, usuellement, son mot magas au
sens moral. En somme, ce point, qui semblerait devoir
être un des plus clairs, reste fâcheusement indécis .
(198) 25° Nâmi « beaucoup », 2 fois : mg. némi
(( maint » ; on peut, si l'on veut, pour expliquer le
timbre a, invoquer une contamination de l'ai, mannig
qui présente les deux nasales dans l'ordre inverse.;
(199)26^ Nébé a vert », une fois : cf. mg. levél
« feuille »: il est question d'un « rameau ». Les con-
- 108 —
sonnes ne concordent pas, maïs sont fort voisines ; et
il ne faut pas se montrer trop sévère sur le phoné-
tisme d'un mot de la phrase inintelligible.
(200) 27« Niké « petit », 2 fois : par métacthèse de
kiné, cf. n^« 14 et 191.
(201)28° Oustia bateau ))^ une fois : cf. mg. usstaim
(( faire flotter », usjstatàSy etc., « flottage par radeau »,
etc. Emprunt sur.
(202) Hd^Pédriné « quitter » et « [il] quitte », chacun
une fois, et pédrinié « [il] quitte », une fois. Le mg.
a un vQThe peder «il tourne »,/)erfererfm « se tourner »,
qui, à la vérité, n'a pas le sens de « se tourner pour
quitter quelqu'un avec qui on vient de causer ou de
s'arrêter » ; mais l'homophonie ici nous interdit de nous
montrer trop diflBciles sur la sémantique. M^^* Smith,
qui ne sait pas le hongrois^ a pu entendre une forme
du verbe peder employée au sens de « se tourner », et
l'employer elle-même légèrement à contre-sens.
(203) 30® Réch « tard », 2 fois, mais seulement dans
la locution zou réch^ voir n** 229.
(204) 31"* Sadri « chanta », une fois. Il s'agit du
chant d'un oiseau. Le corps du mot fait immédiate-
ment songer au mg. madâr (( oiseau ». L^initiale est
peut-être transportée de la syllabe finale de maddrssô
(( chant d'oiseau », ou contaminée de l'initiale du verbe
csatinchni, qui désigne le chant du rossignol. Tous ces
mots sont très usuels ; mais le résultat laisse à dé-
sirer.
— 109 -- ,
(205) 32^ Sidiné « maigre », une fois, FI. 18. La
finale seule est claire, en ce qu'elle rime richement
avec iminé, n** 87, et cf. n"* 16. Le radical peut être
celui du mg* :sstdô « juif », si quelque souvenir d'en-
fance, de nous inconnu, a associé dans Tesprit de
M"° Smith cette idée à celle de « maigreur » ; elles ne
sont pas incompatibles. Très douteux.
(206) 33** Sirima(k rameau », une fois : quoique ap-
partenant à la phrase inintelligible. FI. 33, ce mot
paraît s'expliquer d'une façon assez satisfaisante par
le mg. szirom « pétale » : ce sont toujours des parties
de plantes, et, si le « rameau » en question est « vert »,
.d'autre part le mg. szirmanyult signifie « cresson de
roche ».
(207) 34° Somé « admirer », 2 fois: rappelle de loin
une dérivation du mg. szem « œil », soit szemes « at-
tentif » ou plutôt s:semôk [ô long) « qui a de grands
yeux » ; M. Smith a pu en riant appeler sa fillette
ssemôk, un jour qu'elle ouvrait des yeux béants d'ad-
miration ou de stupeur. Douteux : le vocalisme ne
concorde pas.
(208) 35° Soumini « riant », une fois : métathèse
probable du mg. mosojogni « sourire », qui a, en mg.
même, une variante métathétique dialectale somo-
jogni.
(209) 36° Takâ « pouvoir » (substantif), une fois : il
est question d'un très grand pouvoir ; or le mg. tâgas
signifie « vaste, spacieux, étendu»; l'homophonie et la
sémantique sont approximativement satisfaites.
— 110 —
(210) 37® Tarvinê et tarvtni « langage », 4 fois en
tout. Le mg. tôrvény signifie « loi, droit, justice »,
au sens de « comparaître en justice » : de celui-ci au
sens de « plaidoyer », le pas est aisément franchi, et
« plaidoyer » pour « langage » n'est que l'espèce pour
le genre. L'homophonie consonnantique est ici frap-
pante. Cf. aussi n® 261.
(211) 38® Tatinée « chérie », 3 fois, adressé à une
mère: cf. mg. tata « père », terme de caresse enfantin;
la finale est une suflSxation martienne, ou bien le terme
est contaminé de son synonyme inée, n® 88.
(212) 39® Tat:ié « [il] lance », une fois: lancer avec
une fronde est un jeu d'enfant^ et « fronder » se dit
en mg. parittyâ^ni] M^^® Smith a-t-elle entendu ce
mot? Ta-t-elle retenu en en laissant tomber les deux
premières syllabes? Bien douteux; mais en tout cas la
chute de Yy, qui ne fait que mouiller le t précédent,
ne ferait pas diflBculté.
(213) 40® Téassé a entier », une fois: c'est le mg.
teljes « complet » ; Tarticulation de 17 mouillé est assez
fugace pour que la chute totale se justifie; finale mar-
tienne.
(214) 41* Téri « comme », 4 fois. Le verbe mg,
terjedni « s'étendre » commande au dictionnaire une
série d'exemples, parmi lesquels je relève hitele 10000
forinira terjed « son crédit s'étend jusqu'à 10000
florins », c'est-à-dire en somme « équivaut à, est égal
à », d'où peut procéder le sens de « comme » dans
la pensée du sujet. Bien douteux pourtant: ce n'est
— m —
pas devant une enfant qu'on prononce des phrases de
ce genre ; ou, si on ne les lui adresse.pas, elle ne les
comprend point. Il est fâcheux de ne pouvoir trouver
mieux pour un mot relativement usuel.
(215) 42° Tiche et tis « bientôt », chacun une fois:
c'est le mg. tûzes « enflammé > zélé > ardemment
> vivement »; la filière sémantique est des plus
satisfaisantes.
(216) 43** Toué « dans », 2 fois: faute d'aucune
donnée qui permette de soupçonner que M"* Smith
ait. pu utiliser le breton étouez « parmi », force est
bien de recourir à une forme déclinée quelconque du
mg. ^(5 (ô long), « tronc, racine », soit l'accusatif ^weif
[ô bref), ou toute autre; le mot a pu être entendu dans
une phrase où il impliquait une notion d' « intérieur »,
de (( partie interne », en opposition aux organes ex-
ternes de la plante. Douteux.
(217)44** Tubré « seul », une fois: cf. la locution
mg. tôbbre [menni]i{ [pousser] plus avant », etc. Celui
qui « prend de l'avance» se trouve nécessairement
« seul » tout le temps que dure son avance: cela était
peut-être arrivé à M^^« Smith dans une promenade avec
son père.
(218) 45° Udânil « songes », une fois, FI. 20: le
mg. a aludni « dormir » ; l'aphérèse syllabique, ainsi
que le timbre initial i6 au lieu de u [-z^ fr. ou), paraît
due à l'allitération avec umèz, qui précède, n° 16.
(219) 46° Umèz. « [tu] fais » .et umê^é « faire »,
/
— 112 -
chacun une fois: métathèse évidente du mg. û:sem
« exploitation ».
(220) 47« Vadâ:sâi, mot non traduit, une fois, FI.
31. Le mg. vadâsza signifie « son chasseur »: le mot
avait été entendu par M^^® Smith sans .qu'elle en apprît
jamais le sens, et elle Ta répété tel quel, au hasard, un
jour qu'il lui est revenu, et sous une forme presque
irréprochable.
(221) 48^ Vâmé « triste », une fois: soit une méta-
thèse possible du mg. vidàm « gai », cf. n"* 24, 5**; mais
comme le d et le sens tout à la fois font diflBculté, il
n'est pas hors de propos de rappeler que le mot ne
figure que dans la phrase inintelligible.
{222} 49^ Vétiche «cependant», une fois: le mg. a
pedig « mais», dont la finale a pu se contaminer de
celle du mg. is « cependant ». Sans importance.
(223) 50** Vtniâ «nom», 6 fois: le radical vin-y suivi
d'un suffixe martien, est presque sûrement l'ana-
gramme du mg. név « nom » ; cf. n"* 173.
(224)51^ Vùé «descend», une fois: cf. mg. i?ï>
«eau» ; Tidée de «descendre [à travers les espaces] »
FI. 6, évoque celle de « couler» ou plutôt de «se ré-
pandre en pluie». Pas bien sûr: a été traduit le jour
même.
(225) 52^ Vraïni «désir», 3 fois: mot très difficile,
d'autant plus qu'il se complique de ivraïni, n° 267.
La pensée va tout droit au mg. vàrni «attendre»;
mais -ni est un suffixe d'infinitif, qui n'a aucune raison
— 113 —
d'être reproduit datis le substantif. S'y ést-il confohdii
avec une suffixation martienne ? Ou bien avons-nbus
affaire à une métaphore poétique, mg. viràny «flo-
raison »? Tout cela 6st bien recherché pour une laugue
enfantine. Rien de moins clair.
(226) 53** Zaki «animal », une fois, dans la phrase
inintelligible, et pourtant explicable sans trop d'effort
par une métathèse approximative du mg.' csiga «es-
cargot » : on a montré un jour un escargot à Hélène,
eti lui disant, comme aux enfants, quelque chose
comme « vois-tu la bèbête?», et en même temps on lé
lui a nommé en hongrois, en sorte que la consonnance
de ces deux syllabes s'est associée dans son moi sub-
conscient au concept d' «animal».
(227) 54^ Zâmé «meilleurs», une fois: cf. mg. cse-
mege, « friandise, dessert » ; Hélène enfant a dû cons-
tater par expérience que le « dessert » était « meilleur »
que le repas. Douteux pourtant : le phonétisme ne
concorde pas suffisamment.
(228) 55^ Ziscui «fois », une fois, tout à là fin:
bien que le principe de la formation de ce mot bizarre
ne semble être qu'un jargonnement arbitraire (cf.
n°106) , il n'est pas interdit de reconnaître, à la base
du processus réduplicatif d'où il est issu, la sifflante
sonore du mg. izrom « fois».
(229) 56** Zou «plus », 2 fois, mais seulement dans
la locution ^ow réch «plus tard». On peut, dès lors, se
demander si cette locution n'est pas coupée en deux
mots uniquement parce qu'elle en forme deux en fran-
8
— 114 —
çais, et si Torthographe correcte ne serait pas zouréch
en un seul. Dans ce cas, Ton conjecturerait une altéra-
tion, d'ailleurs assez grossière, du mg. sokàra, « long-
temps, longtemps après». Cette dernière identification
est incertaine; mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on ne
saurait identifier mot pour mot ^ou à «plus» et réch
à (( tard », d'autant que « plus tard» en ce sens est un
idiotisme français que les Martiens n'ont guère pu
emprunter.
(230) Tout compte fait, le magyar se trouve avoir
fourni directement au martien deux à trois fois plus
de mots que l'allemand, deux fois moins que le français.
Cette proportion resterait àpeu de chose près la même si
on défalquait de part et d'autre les cas que nous avons
qualifiés de douteux. Elle est tout à fait conforine à ce
que la théorie nous mettait en droit d'attendre (cf.
no^5-7) : l'auteur du martien est une enfant bien douée,
qui sait à fond le français et a entendu un bon nombre
de mots magyars très usuels ; comme c'est aussi dans
un cercle d'idées très usuelles que se meuvent les phra-
ses martiennes, ceux-ci lui reviennent avec une abon-
dance relative ; mais, malgré l'avantage inappréciable
qu'ils offriraient au point de vue du déguisement des
origines du martien, ils restent en minorité, parce
qu'elle n'en a à son service qu'une quantité fort limitée;
quant à l'allemand, appris plus tard et sans doute
moins fidèlement retenu, il n'apporte qu'un faible ap-
point, bien supérieur toutefois à celui des autres do-
maines linguistiques à peine effleurés par M"® Smith.
— 115 —
CHAPITRE VII
Le Vocabulaire anglais
(231) Tenant compte au vocabulaire anglais de
l'apport possible de hed (n^ 32, 3**), de Tinfluence qu'il
a pu exercer sur Tadoption ou l'altération de mode et
gudé (n^s ^^55 ^t 166), et de l'explication subsidiaire,
éminemment problématique, de godané (n^ 82), il ne
reste plus à son actif immédiat que trois mots, dont
deux fort usuels, que M^^® Smith a pu fort bien con-
naître sans savoir l'anglais.
(232) 1« Kida « faveur », une fois, FI. 28 : semble
être un transport, avec suflBxation martienne, du radi-
cal de ktnd «aimable )),/i:mrf-Aiess «obligeance», etc.,
rhais prononcé à la française et dépouillé de sa nasale.
(233) 2^ Méch « crayon », une fois, FI. 17 : ressemble
trop à match « allumette » pour qu'on ne suppose
pas entre les deux mots un lien suggestif ; la forme
des deux objets a servi de transition. Sans importance:
texte graphique, mais traduit dans la même séance
où il a été dicté .
(234) 3^ Non « jamais », une fois, FI. 24 : rappelle
de façon irrésistible la locution anglaise nor y et « ni
jusqu'à présent ». Sans importance au surplus : le mot
est isolé de tout autre contexte.
-- 116 -
CHAPITRE Vm
Le Vooabulaire oriental
(235) Le cycle martien a débuté le 25 novembre
1892, pour se dérouler, avec des interruptions plus
ou moins prolongées^ jusqu'au 4 juin 1899. On peut
dater l'apparition du cycle hindou du 2 septembre 1894
(FI. p. 261) , et les prodromes de cet ensemble de
visions remontent beaucoup plus haut. On doit donc
considérer les développements respectifs de ces deux
cycles comme chronologiquement parallèles, etilserait
fort surprenant que Ton ne constatât point de mélange
entre eux, d'influence de l'un sur l'autre. En fait, il y
a des rêves mixtes, ne fût-ce que celui de la séance du
23 mai 1897, où les visions orientales et martiennes
interfèrent au point de se gêner réciproquement, de
même qu'en physique deux sources de lumière se ré-
, solvent en obscurité ; et, ce jour-là, parmi beaucoup
de bavardages indistincts, on recueille un texte hybride
(FI. 13), contenant deux mots dont le truchement
martien ne sait que faire. La présomption de quelques
emprunts du martien au vocabulaire oriental est donc
en soi parfaitement légitime : il s'agit de savoir si elle
se justifie dans le détail, c'est-à-dire, si la concordance
est assez frappante pour emporter la conviction, et si
. -r 117 —
M"o Smith cpnnait ou peut être censée connaître le
terme oriental qu'on croit retrouver en martien.
(23.6) VAttanâii monde », une (ois, et « mondes»,
une fois : 2 novembre et 5 décembre 1898. M"^ Smith
connaît le mot pseudo-sanscrit attamana, qu'elle a
prononcé en cycle hindou le V mars 1898 (FI. p. 29,9):
c'est le sanscrit âtmày ou plutôt son accusatif âtmancu^^
auquel elle paraît donner le sens de « âme » ; mais ce
dernier ne se dégage pas assez nettement de sa phrase,
pour qu'on n'y puisse substituer celui de « vie, être,
existence », etc., dont la signification du sk. cttmd s'ac-
commoderait également bien. En somme, tout porte à
croire que, dans sa pensée, c'est un mot à sens vague
et élastique, comme par exemple le sk. védique thû-
vanam, qui signifie à la fois « être » et «monde»'; et
au surplus l'acception plus abstraite « être » réap-
paraîtra, si je ne me trompe, dans le composé atèv,
n"* 270: il ne paraît donc guère douteux que le mt. at-
tanâ ne soit une syncope du sanscritoïde attamana,
(237) 2** Darié « cœurs », une fois, et « cœur », une
fois. Ce mot nous servira à interpréter un mot sans-
critoïde autrement inintelligible, et en même temps il
s'expliquera par lui. Dans une de ses effusions hin-
doues (FI. p. 295), M^^*^ Smith a dit radisivou, que
Léopold traduit tant bien qup mal par quelque chose
comme « bien-aimé Sivrouka ». Or, si sivou est une
abréviation caressante du bom de Sivrouka, mdi-sivou
peut en effet avoir le sens esquissé par Léopold, mais
plus exactement celui de a Sivrouka de [mon] cœur»:
en tant que, d'une part, le mt. dcuié, qui signifie
— 118 —
(( cœur », est la métathèse exacte de radi-, plus une
suffixation martienne ; en tant que, d'autre part, radi-
est la reproduction approximative de hrdi ou la méta-
thèse de Arrfd (usuellement prononcé A/'ïcfâ) , respecti-
vement locatif et instrumental du mot sk . hrd « cœur ».
Il n'y manque que Taspirée initiale, assez difficile à
prononcer dans cette position, et généralement omise
par les sanscrit istes français. On sait d'ailleurs que
M"® Smith, fidèle aux usages de la prononciation
française, laisse volontiers tomber les aspirées: n^^^lôO,
176, etc.
(238) 3" Mira « adieu », 12 fois. Ce mot, répété à
satiété, ne ressemble à rien de connu. En désespoir de
cause, j'ai pensé au malgache miarahaba « salue »^
qui expliquerait même la longue finale constante par la
contraction des deux a séparés par Y h, A l'époque des
séances de M^^* Smith, les affaires de Madagascar
battaient leur plein, les journaux fourmillaient
d'anecdotes malgaches, et il n'y aurait rien d'impos-
sible à ce que l'un d'eux lui eût mis accidentellement
sous les yeux le texte d'une salutation telle que Uaho
miarahaba anao « je vous salue ». Mais il va de soi
que cette hypothèse demeure en l'air.
(239) 4^ Misaïméa fleur » et « fleurs », chacun une
fois. Je transcris ici textuellement un passage de
M. Flournoy (p. 300j. (( Les spécimens [de sanscrit]
les plus remarquables sont les deux mots sumanas et
smayamana, qui ont particulièrement frappé M. de
Saussure. Le premier est la reproduction graphique-
ment irréprochable du sk. sumanas « bienveillant »,
— 119 —
cité un peu dans toutes les grammaires et servant
même çà et là de paradigme de déclinaison : il faut .
toutefois noter que, pour toutes les grammaires égale-
ment, ce mot se prononce soumanas, tandis qu'Hélène
Ta nettement articulé sumanas et qu'il paraissait dé-
signer une plante dans sa phrase : C'étaient les^ plus
belles sumanas de notre jardin. » Ce qui semble avoir
échappé à M. de Saussure, c'est que le sk. sumanas
signifie aussi « fleur » : il est évident, dès lors, qu'elle
ne le connaît que comme tel. Il est entendu, de plus,
qu'elle le prononce avec un u français, en sorte que, si
en martien elle appelait les « fleurs » ^musaïmé, per-
sonne n'hésiterait guère à reconnaître dans ce dernier
mot une métathèse des deux premières syllabes de
s wmanas, accessoirement affublée d'une suffixation
martienne: cf. n*' 17, 4°. La différence de timbre
de Vu et de Vi est-elle suffisante pour infirmer une
conjecture en elle-même aussi plausible ? C'est
ce que je laisserai de bon cœur à l'appréciation du
lecteur.
(240) b^ Ponde a savant», une fois, vers la fin.
M"' Smith ne connaît sûrement pas le sk. panditàs
«savant»; mais, si elle a, commie tout l'indique, jeté
les yeux sur quelque roman de mœurs orientales,
elle ne peut pas manquer d'y avoir rencontré le mot
pandit, qui en est la francisation. Beaucoup de per-
sonnes le connaissent, qui ne sont pas orientalistes,
et qui naturellement le prononcent sans faire sonner
le ^. Ce rapprochement, irréprochable quant aux'
consonnes, me paraît donc presque sûr, quoique les
— 120 —
deux mut^'tions vocaliques se soient effectuées en sens
précisément inverse des tendances phonétiques rele-
vées en martien, cf, n^ 12, 1"*; mais c'est un mot de
date tardive.
— 121 —
CHAPITRE IX
Les contaminations ^
(241) I. Franco-allemand et réciproquement. —
1** Aline « oublie » , mot un peu douteux, en ce qu'il
n'apparaît qu'une fois, et sous la forme non décomposée
saline « j'oublie » , cf. n° 32, 1®. Cependant la quasi-
homophonie avec ilinée « reconnue » (n® 159) condui-
rait à penser que aliné est issu de i Une et qu'il en est
en quelque façon la négation : s'il en était ainsi. Va-
initial serait . un a- privatif, dont 11 n'est pas besoin
d'avoir appris le, grec pour avoir pleine conscience par
nombre de mots français, soit acotylédone, apétale y —
toutes les jeunes filles apprennent un peu de botanique,
— anormal, athée, etc. Tout cela pourtant demeure
fort indécis, soit à cause de la disparition de Vi initial,
soit surtout parce que ilinée n'est apparu que posté-
rieurement à saline. Peu important.
(242) 2° Amêré « réunir » , une fois. Ici la préfixa-
tion française est beaucoup plus claire : le mot a été
tiré de l'ai, rnehrere « plusieurs » , dont il conserve
intacts le vocalisme et jusqu'à la quantité, par le même
f
1. Il s'agit ici des contaminations polyglottes, telles qu'on les
a définies et expliquées au n" 25.
— 122 —
procédé qui a formé en français a-moncel-er de mon-
ceau, et tant d'autres.
(243) S*' Bétiné « regarder » et « [je] regarde », et
bétinié n regarde » , chacun une fois. Le fr. « regarder »
se dit aussi dans la langue courante « fixer » , et d'autre
part (( fixer » , surtout dans le sens commercial de
(( convenir [d'un prix, etc.] » , — qui est précisément
celui que M"® Smith, à raison de sa profession, a été
le mieux en mesure d'apprendre, — se dit en al. be-
dingen. Le rapport parle assez de lui-même.
(244) 4"* Dastrèe a paisible», une fois. Soit une lo-
cution fr. (( de repos » , analogue à la locution « de
pouvoir » employée un jour au sens de « puissant »
(n® 23, 1°) , et pouvant parfaitement signifier « paisible » :
contaminée d'al., elle devient *rfe rast, dont la méta-
thèse exacte est *dastre, puis avec une suffixation mt.
dastrée. Le procédé est curieux et me parait sûr.
(245) 5° Éréduté « solitaire » , une fois : cf. la forma-
tion d'Ésenale, n^ 27. Dans le mot fr. soU-taire, iso-
lons d'abord la seconde moitié, soit terre, qui se tra-
duit en al. erde. Voilà, avec une légère métathèse ou
une petite insertion vocalique, de quoi fournir la pre-
mière moitié du mot martien. Reste après cela soZt-,
c'est-à-dire le nom d'une note de musique, plus une
voyelle, qu'on remplacera par le nom d'une autre note
de musique, plus une voyelle de même timbre (cf. n°12,
2**) . La formule est mathématique : sol-\-i-{'tairez=zéréd
-\-ut-\-é. Ce dernier peut aussi être un suflBxe martien.
246^ 6^ Firent « certainement », une fois. Le fr...
— 123 —
vrai n'aurait pas pu donner aisément Jîré-, -j^i étant
une suflBxation martienne : d'abord, il est peu probable
que M"® Smith change un v en f; puis, Tinsertion
vocalique reste inexpliquée; enfin, le sens ne concorde
pas tout à fait. Cependant je croîs que vrai se retrouve
ici tout au moins dans la voyelle médiale du mot :
^re-'-jï serait une imitation de vrai-meni. D'autre part,
le sens concorde mieux avec l'ai, freilich « certaine-
ment », eiVdX.fûrwahr « vraiment » expliquerait,
s'il en était besoin, l'insertion vocalique. L'anglais
vertly est sans doute hors de cause.
(247) 7° Furimir « aimera », une fois. Le verbe
c( aimer » évoque le radical am- deam-oar, am-i, etc.,
et celui-ci, la syllabe initiale de l'ai, am-eise « fourmi » :
Aq fourmi k furimir ^ la distance est courte. Je ne
doute pas de l'étymologie ; mais elle est sans impor-
tance, le mot ne faisant partie d'aucun contexte
suivi (FI. 24).
(248) S*' Nazère « [je] trompe », une fois. Le verbe
tromper évoque le substantif trompe, qui suggère
l'idée de « nez », al. nase. Reste la finale -er, qui
fournit la syllabe -ère. Me paraît sûr.
(249) 9° Pélésse « chagrin » et péliché a souci »,
une fois chacun : il est difficile d'échapper à la pensée
que ces deux mots n'en font qu'un ; mais l'explication
en serait plus aisée si le second n'était apparu le
premier. De la traduction « souci », en effet, on ne
saurait rien tirer, tandis que la traduction « chagrin »
suggère le jeu de mots « sorte de joeaw préparée », puis
— 124 —
la traduction al. peh^ dont pélés^e est la reprodiiction
presque littéraire. Il est vrai que peh ne signifie poin^t
« éuir », mais « fourrure »; mais les équivalences sé-
mantiques du martienne sont pas à cela près. La seule
objection grave est celle que j'ai formulée au début.
Je ne crois pas qu'elle soit péremptoire : M"® îSmith a
pu traduire « souci )), tout en ayant « chagrin » dans
la pensée quand elle a créé le mot.
(250) 10® Sanâ « tant », une fois. Une dérivation
mt. de tant, le t final ne se prononçant pas, donnerait
*tanâ. La substitution de Y s au t peut provenir de leur
voisinage dans Talphabét (n° 13, 5°) ; mais il est plus
méthodique de supposer une contamination très g-isée
par Tal. so.
(251) IL Franco-hongrois, et réciproquement. —
1^ Bodri (( os », une fois : mot très difficile. La mé-
tathèse de os est so, qui, entre autres sens, donne en
fr. celui de « sot » ; or, celui-ci peut se traduire en
mg. botor, qui , moyennant une mutation de sourde
en sonore, une syncope et une suflBxation martienne,
donne bodri. Je ne me dissiinule pas le caractère
aléatoire de cette restitution ; cependant je fais observer
que M^^® Smith paraît bien en effet avoir songé, pour
le traduire en martien, à un mot commençant par une
'consonne (so), et non par une voyelle (os) ; car autre-
ment il est probable qu'elle aurait créé en martien
aussi un mot commençant par une voyelle devant
laquelle Tarticle se serait élidé. Tant, en général, son
imitation est servile ! Cf. ^* alizé « l'élément », n*"» 30
et 4^. Aussi Esenale, appelé à interpréter ce texte,
\,
— 125 —
traduit-il séparément et sans élision « le os », M. 29.
En dehors de eette présomption, il n'y a aucune ana-
logie que celle de l'ai . ou anglais butter, que je ne
vois aucun moyen de concilier avec le sens de « os » .
(252) 2? Laâé « vers » (préposition), une fois ;
une autrefois, le sujet a employé le mot plus simple
é, n" 35, 2**. Le mg. a lât-ni « voir », qui n'est guère
compatible au point de vue du sens ; mais le rapport
a dû s'établir à la faveur de la consonnance presque
identique des deux mots fr. vers et voir,
(253) 3" Linéi « debout », une fois. Le mg âllani
(( se tenir debout » est phonétiquement trop éloigné
pour être seul en cause ; mais les sens très voisins du
fr. ligne [droite] ou aligné expliquent sans diflBculté
l'altération qu'il a subie. A peu près sûr.
(254) 4** Men « ami », 6 fois, et mené « amie »,
4 fois, total 10 : le second est apparu le premier ; mais
il importe peu que mené soit dérivé de men^ .ou men
abstrait de mené, cf. n® 19, 2°. La consonnance fr.
ami est identique à la consonnance mt. ami, ^que
M"® Smith devait plus tard employer au sens de « il
va », cf. n° 175 ; or l'infinitif mg. du verbe d'où procède
ce dernier est m£nm\ qui a été en conséquence trans-
porté presque textuellement au sens d' « ami » ou
« amie ». L'homophonie est frappante, et pourtant
l'hypothèse très douteuse, en ce que le mt. amès et
surtout a/?/t n'est apparu que bien postérieurement au
mt. mené. Peut-être vaudrait-il mieux partir tout
simplement de l'ai . meine( « ma, mienne », etc.
— 126 —
(255) 5° Mirivé « tracer » [des caractères d'écriture],
2 fois. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ce mot
lefr, écrire, ou plutôt un barbarisme fr. *écriver, in-
finitif créé sur Tanalogie des formes écrivons, écrivez,
écrivais, etc. Le procédé est remarquablement en-
fantin. Mais la syllabe -ir- me parait due à une con-
tamination par le verbe mg. ir-ni « écrire », que
M"® Smith connaît, cf. n® 195. Quant à Vm initial, je
n'en aperçois pas la raison d'être, à moins qu'elle ne
connaisse que iromàny, dont elle aurait transporté la
médiale au début. Cf. pourtant n"* 16.
(256) 6** Neura « danger », une fois. L'idée de
« danger » appelle celle de a risque », et celle ci,
surtout dans l'esprit d'une personne vouée à la carrière
commerciale, se lie aisément à celle de « spéculation ».
Or le mot spéculateur a pour équivalent le mg. nye-
rés2. Douteux : le phonétisme est en défaut.
(257) 7<* Ouradé « [se] souvenir )), une fois : tout à
fait différent de ::ati a souvenir », n"* 146. Le mg. a
plusieurs mots très semblables de forme, notamment
uradalom « seigneurie », et surtout ûrhadi a nobi-
liaire », mais très différents par le sens. Le rapport a
pu s'établir par la double signification, à la fois ma-
térielle et intellectuelle, du fr. posséder, étant donné
qu'en Hongrie la noblesse est encore aujourd'hui es-
sentiellement la caste propriétaire.
(258)8^ Patrinèz « alors », une fois, FI. 17. Le
mot « alors » a dans cette phrase le sens très net de
« donc , c'est pourg^ wor ». Ce dernier mot se dit en mg.
— 127 -
melly, et melly, retraduit en fr. dans un autre de ses
sens, donne poitrine, dont pati^inèz est un jargonne-
ment à peine déguisé avec finale martienne.
(259) Séîmiré « comprendre », deux fois, « [je]
comprends » et «comprendras», une fois chacun:
total, 4 fois, cf. n® 22, 9®. Une chose que Ton « com-
prend » est une chose qui « va de soi », et Thomonyme
fr. de soi est soie qui se traduit en mg. selyem. On voit
que la prononciation fuyante de 17 mouillé (n® 173)
donne exactement un radical verbal séïm-, qui se com-
plète par une suffixation martienne.
(26*0) 10® Ti:^iné «demain», deux fois. Un calembour
très simple sur fr. demain donne fr. deux mains, qui
font « dix doigts », et « dix » se dit en mg. ti:s ; la finale
est une suffixation fort commune.
(261) 11** U^ir (( liira», une fois. Le mg. a une excla-
mation ûgyef « n'est-ce-pâs ? » dont une traduction en
fr. usuel serait aussi notre a dis donc» : c'est ainsi que
ce radical a pu prendre le sens du verbe «dire». Mais
peut-être vaudrait-il mieux s'en tenir au mg. ilgyés^
«avocat»: en ce cas, il n'y aurait pas de contamination
par le fr., et la seule remarque à faire serait celle de
la curieuse prédilection de M"® Smith pour les termes
juridiques, en tant qu'il s'agit de rendre l'idée de
«parole»; cf. n^ 210. M. Smith père aurait-il eu à
soutenir un procès en Hongrie?
(262) 12° Zivênié « étudie», une fois. L'idée d' « étu-
dier» évoque facilement, surtout chez un enfant, celle
d' « apprendre par cœur », et ce dernier mot, à son tour,
— 128 —
évoque sa traduction mg. sztOy qui au surplus n'est
jamais employée dans le sens spécial au français ; mais
peu importe, il s'agit ici d'un calembour bilingue, et
non d'une équivalence. Avec mutation de sourde à
sonore, on a un radical :sio-, sur lequel s'applique une
suffixation martienne. Me paraît tout à fait sûr.
(263) IH. HONGRO- ALLEMAND ET RÉCIPROQUEMENT.
— l'' Borêsé «pleines», une fois. Le fr. «plein» se
traduit en al. voll, lequel signifie aussi «ivre», et ce
dernier sens a suggéré la traduction en mg., soit boros
« ivre » ou borisza « ivrogne » ; l'homophonie est pres-
^que absolue. Cf. le suivant.
' (264) 2** Châmi «parfum», une fois, dans la même
phrase que le précédent. L'ai. a scAmec/?en «sentir»
[à l'odorat] et geschmack «goût»; mais je crois que,
pour expliquer la voyelle insérée entre s et m, il est
presque indispensable de faire intervenir le mg. samat
« bouquet du vin » ; d'autant que le radical de borisjsa
est bor «vin». Il devient évident, dès lors, que le
concept de «vin» se jouait dans l'arrière-pensée de
M^^« Smith lorsqu'elle a prononcé cette phrase.
(265) 3^ Grini «soulever», une fois, FI. 23. L'idée
de «soulever» évoque celle de «sol», qui se traduit en
al. grand et en mg. gerend, celui-ci plus proche par
le vocalisme, celui-là par la double consonne initiale.
Ce mot est d'ailleurs tout à fait négligeable, parce qi^e
la traduction en est des plus équivoques : d'abord la
phrase « le miza va soulever » n'est pas française, il fau-
drait «se soulever»; puis, dans la vision qui la suit,
— 129 —
Tobjet ne se soulève pas, mais « prend un mouvement
de balancement qui fait un bruit de tic-tac, puis glisse
comme un train sur des rails».
(266) 4P Uzénir « attendra » , 2 fois. Le mot « attendre»
se traduit en dX.warten, qui signifie aussi «s'occuper
de, prendre soin de»; sa traduction dans ce dernier
sens est mg. ûgyelni. Pour la concordance mg. gy >
mt. :Sj voir n'*^ 173 et 174.
(267) IV. Francq-hongro- ALLEMAND. — VIvraïni
(( aujourd'hui », une fois, FI. 27. Vraïnï «désir» (FI. 14,
cf. n® 225) est chronologiquement antérieur à tvratni,
en sorte que rien ne s'oppose à la filière assez complexe
que je vais restituer. La finale de «aujourd'/i^n) ou
simplement son sens amène Tal. heute, dont le pho-
nétisme suggère très facilement le mg.ohajtds « désir » ;
celui-ci, à son tour, suggère son équivalent mtvratni;
et, comme une sorte de doigt indicateur qui nous
guide dans ce dédale, l'initiale de ohajtds demeure
encore figée en tète de ivraïni, sous le bénéfice de
la mutation o > t, qui nous est déjà connue, cf.
n*» 36, 6^
(268) 2^ Valini « visage », une fois. Tout d'abord,
les idées très voisines « visage, aspect, regard » se sont
évoquées l'une l'autre; puis, regard traduit en al. a
donné blick, dont la traduction mg. exacte serait
pillanat. Mais blick signifie aussi « reflet lumineux »,
et dans ce cas sa traduction mg., peu différente, est
vtllanat, avec le verbe villanni « lancer des éclairs »,
9
— 130 —
etc. Il n'échappera à personne que valini en est la
métathèse rigoureuse. Cette cascade de doubles sens
est douteuse cependant, parce qu'il n'est pas probable
que M"® Smith connaisse tous, ces mots et toutes leurs
nuances; mais peut-être, précisément parce qu'elle
ignore les nuances, elle emploie les mots un peu à tort
et à travers.
(269) V. Autres contaminations. — 1° A miche
« mains » et éméche « main », une fois chacun. Que le
vocabulaire oriental puisse intervenir dans les conta-
minations, c'est ce que démontrera l'exemple suivant;
mais celle que je vais analyser est au premier abord
si invraisemblable, que je n'aurais jamais osé l'im-
primer, si la vraisemblance était un critérium appli-
cable à un rêve. Si, ainsi que nous l'avons constamment
supposé. M"® Smith a feuilleté quelque roman pseudo-
oriental, il est difficile qu'elle n'y ait pas rencontré le
nom des « Ameshaspands », ces demi- dieux tutélaires
en grande vénération dans la religion persane : il n'im-
porte que le mot ait été retenu ; il suffit qu'il ait été
vu, pour que la mémoire subliminale puisse l'utiliser
sous l'influence de quelque excitation accidentelle. Re-
venons à présent au fr. « main »: l'équivalent est al.
ou anglais hand^ dont la consonnance évoque la finale
de ameàaspand, et celle-ci le mot tout entier; enfin,
les deux premières syllabes détachées fournissent un
radical amis-, ou émés-y où l'alternance vocalique elle-
même semble trahir une origine exotique et bizarre, un
mot non familier au sujet, et par conséquent mal
retenu. Tout cela me semble à peine douteux.
— 131 —
(270) 2** AtêVy « être, êtres », 7 fois: contamination
évidente de l'initiale d!attanâ avec le radical mt. du
verbe « être » ; cf. n°« 37 et 236.
{Éméche « main » : voir u9 269.)
— 132 —
CHAPITRE X
f
Les dérivations ultérieures
(271) 1^ Atimi « bonheur », 3 fois: paraît dérivé,
par suffixation martienne, de adi « bien » (n° 174), qui
toutefois n'est apparu que plus tard. J'ai déjà dit que
je considère cette objection comme sérieuse, mais non
comme décisive : un mot peut avoir été élaboré dans
le subconscient du. sujet, sans avoir encore nécessaire-
ment vu le jour.
(272) 2^ Datrinié « caché ))^ une fois, dans la phrase
inintelligible. Si Ton peut attribuer à da- un sens pré-
fixai, soit inversif ou négatif, pareil à celui du préfixe
fr. dé" dans dé-lié, etc., on voit que le mot entier peut
signifier « dont on ne parle pas » (cf. triné « parler »,
n® 139), par conséquent « secret, caché ». Douteux,
mais sans importance.
(273) 3"* Éfin choses », une fois: il est probable que
la forme plus correcte serait *évi (cf. n" 8), et que le
mot se rattache par dérivation au radical éy-, du verbe
mt. qui signifie « être » ; voir n'*^ 37 et 274.
(274) 4P É venir « posséderas », une fois: dérivation
possible du radical év- au sens de « chose », par con-
— 133 -^
séquent (( objet qu'on peut posséder, bien » ; cf. n*"* 38,
3^ et 273.
(275) 5** Imùi a sous », une fois, dans la phrase
inintelligible : dérivé possible fie tmâ « ciel » (n° 160),
par Tintermédiaire de Tidée que « tout est sous le
ciel ».
(276) e^/s'd « mais », 2 fois: dérivé de is « tout »
(n* 188), de par la transition fournie par le synonyme
fr. « touteîois)),
(277) 7« I^é (( enfin », 3 fois : dérivé de is (cf. n« 276),
à la faveur de la transition fournie par la locution sy-
nonyme « après tout ».
(278) 8** Kêmisi « femelle », 2 fois : dérivé fort in-
solite de kêmâ « mâle », n*' 92.
(279) 9° Kévi et kêvi » quand », en tout 3 fois :
dérivé du thème interrogatif et relatif /c~, dont on a vu
rorigine, n« 33, 3^
s.
(280) 10° Kiché « pourquoi », 3 fois : autre dérivé
jargonnant du même thème.
«
(281) 11° Ki^ (( quel », 4 fois, et ki^é « quelle »,
2 fois : autre dérivé du même thème.
(282) 12'' Meta a pourtant », une fois: étant donné
que med signifie « pour », c'est une formation calquée
sur le fr. pour-tant, soit *med-ta, où la syllabe -ta
représente la syllabe fr. -tant. Noter toutefois que
med est postérieur à meta.
(283) 13^ NŒsina « nouveau », une fois: comparer
• — 134 -
aainiii ensuite », fl'Où le «eus ^« postérieur, récent »,
cf. n^ 34, 2** ; Vn initial vient de contamination par te
mot «ir. nouveau.
(5884) 14" Néûmi a mystérieux », une fois. Le mot
lui-même est assez mystérieux et semble de formation
mystique : par Tinitiale, il rappelle le fr. né-ant ; l'élé-
ment subséquent doit se ralitaoher au verbe m t. umejs-
« faire » (n"" 219), en sorte que l'ensemble aboutirait au
sens de « infaisable » ou « incréé ».
(88$) 15° Primi « revoir » substantiif, une fois,
PL 33: ce « revoir » s'effectue par un «retour », en
sorte qu'il est difficile de ne pas soupçonner un j?ap-
port étymologique avec bérimir qu'on a vu au ViP 53.
Peu clair.
(286) 16° Trimênêni « comprenions », une fois,
FI. 15. M. Flournoy fait observer que la traduction est
suspecte, puisque « comprendre » se dit tout autre-
ment (n°259), et qu'il vaudrait mieux « entretenions »
pris flans le sens de « converser, causer » : dans ces
conditions, et puisque tarvini et triné apparaissent
dans la même phrase, le rapport à établir entre ces
trois mots n'est pas niable, cf. n°^ 139 et 210. Ce qui
demeure obscur, c'est le mode spécial de dérivation
de trimênêni. Peut-être n'est-ce qu'un jargonnement
arbitraire, vaguement imitatif du fr. entretenions.
— 135
CHAPITRE XI
Le résidu
(287)11 n'est guère d'analyse linguistique, si pa-
tiemment conduite qu'on la suppose, qui ne laisse au
fond de la cornue un caput mortuum irréductible.
Celle du martien pouvait moins que toute autre
échapper à cette infirmité. Il me reste donc àénumérer
les quelques mots dont je renonce à trouver Texplica-
tion, et à souhaiter à mes lecteurs, s'ils m'ont suivi
jusqu'ici, plus de pénétration. On tiendra compte, en
outre, des petits mots dont la genèse demeure obscure,
et des incertitudes dont je n'ai pas fait mystère au
cours de ma trop longue exposition.
1** Estotiné « ma dernière », FI. 15 : ce n'est pas la
seule anomalie de ce texte ; mais c'est la seule dont il
soit absolument impossible de venir à bout ; car,
puisqu'on ne peut, dans ce prétendu composé, isoler
un mot qui ait le sens de « ma » (cf. n*^ 32, 1^), à plus
forte raison n'y reconnaît-on pas le mot « dernière »,
et à plus forte raison encore ne saurait-on le rap-
procher de rien.
2? laniné a [il] enveloppe », FI. 14 et 28. LadiflB-
culté de ce mot étrange se complique de ce que, la
première fois qu'il apparaît, c'est sous la forme
— 136 —
m-mniné, qui est censée signifier « t'enveloppe » et
où pourtant Télément m- ne peut que par lapsus évi-
dent représenter le pronom « te ». Le mg. a un mot
hiàny « lacune », d'où le composé hiànyjel « signe
de lacune », qui désigne le petit symbole que nous
appelons « apostrophe ». On sait, d'autre part, que
l'apostrophe est souvent employée, dans certains ou-
vrages, comme le seraient les guillemets, et qu'enfin
les guillemets <( enveloppent » une partie déterminée
d'un texte. Toutes ces idées sont donc plus ou moins
connexes, et il n'était pas difficile de passer de l'une
à l'autre. Mais il n'est pas croyable que M"® Smith
connaisse, même pour en fausser le sens, un terme
grammatical aussi technique en langue magyare.
3** Lâmée « jusque » , une fois. Le fr. là même se
suggère tout naturellement ; mais il faut se défier des
explications trop faciles.
4° Pové « rester » , une fois : je ne trouve à citer
que l'ai, bewohnen « habiter » , et vraiment il est trop
éloigné à tous points de vue.
5® Ru;7^i (( milieu », FI. 24. On est frappé tout d'abord
de l'homophonie avec bu^i « moyen » : le rapport
aurait pu s'établir par l'intermédiaire de l'ai. mitteU
qui signifie à la fois l'un et l'autre. Mais bu:si, qu'on a
expliqué tant bien que mal au n^ 57, n'apparaît que
tout à fait à la fin, FI. 40 : il est difficile, dès lors, de
croire que ru:2n en soit issu • et, si l'on suppose que ce
dernier, au contraire, est l'ancêtre, c'est bien pis en-
core, car il n'y en a pas d'étymologie visible. Rien non
plus ne justifie le passage de 6 à r ou réciproquement.
- 137 -
Mieux vaut donc laisser rw^r^/ parmi les mots inex-
pliqués, et peut-être, parla même occasion, y reléguer
bu^i avec lui. Mais avec ces deux derniers mots nous
avons épuisé la totalité du vocabulaire martien.
— 138
CONCLUSION
(288) Dans mes Antinomies linguistiques, — aux-
quelles je m^excuse de renvoyer si souvent, mais il le
faut bien, le présent livre n'étant au fond qu'une véri-
fication expérimentale des principes spéculatifs que j'y
avais exposés, — je me suis trouvé tout naturellement
amené à examiner Tirritant problème de la conformité
originaire du langage et de la pensée, postulat logique
inéluctable, mais jusqu'à présent rebelle à tout essai de
démonstration, puisque le langage primitif de Thuma-
nité nous est lettre close. « Peut-être, ajoutais-je (p.41,
n.l) , n'est-il pas téméraire de fonder à cet égard
quelques espérances snr l'avenir des récentes recherches
qui ont si fortement modifié et ébranlé l'antique no-
tion de l'unité du moi. Qui sait si le sens élémentaire
du langage ne se dégagera pas brusquement ou pièce
à pièce de quelque moi sous-jacent, mis à découvert
dans un de ces états seconds que provoquent les expé-
riences d'hypnotisme? Si étonnants que paraissent
certains de leurs résultats^ il est clair que les expéri-
mentateurs n'en sont encore qu'aux premiers rudi-
ments de la psychologie qu'ils nous préparent et n'ont
pas encore ébauchée. »
Tandis que j'exprimais ce timide espoir, d'éminents
expérimentateurs, à mon insu, assistaient à l'éclosion
— 139 —
S'unelang^ue^elle que je la souhaitais, mais telle aû^^
qu'elle m'apprêtait une déception. M"" Héloue Smith
est évidemment beaucoup trop instruite et trop cul-
tivée, pour être restée l'intuitive que requerrait la re-
RicoQetruotion d'un langage primitif et spontané; son ]
ubconscient est encombré de trop de souvenirs coa-
Mcients, linguistiques, littéraires, scolaires, pour laisser 1
transparaître encore sous ce voile factice le confus et
lointain souvenir des concordances mystérieuses du
ton et du sens qui créèrent la langue de nos premiers
■'■ancêtres. 11 y faudrait, sinon un sujet qui n'eût jamais
appris à parler, du moins une nature plus fruste, un
cerveau beaucoup moins afiiné. N'en désespérons pas:
ces conditions peuvent se rencontrer demain ; mais
dans le cas présent elles nous font défaut. En fait, on
■l'a vu, M"" Smith ne parle qu'avec ses propres souve-
gdrs, immédiats (conscients) ou médiats (inconscients), j
mais d'après ceux qui, remontant par atavisme les I
[énérations disparues, iraient rejoindre les premiers
aineaus de l'humanité parlante. Elle a beau se dire |
î de France, princesse arabe par la naissance et
kindoue par te mariage, exploratrice de la planète
Ifars: elle n'a vécu toutes ces vies que sur le papier des
i q'elle a lus: à plus forte raison n'en revit-elle
loint d'autres, plus réelles, mais plus abstruses, ense- i
felies qu'elles sont à jamais dans un passé sans histoire. [
Ne lui demandons pas plus qu'elle ne nous peut
lonner, et remercions M. Flournoy de l'avoir si iidè-
ment recueilli : de ia documentation martienne, où i
I a eu l'heureuse pensée de ne pas essayer de faire un ,
— 140 — -
choix, qu'il nous a transmise complète et rigoureuse-
ment authentique, quelles conclusions se dégagent au
point de vue delà psychologie du langage?
1° Presque tous les mots du martien ont une étymo-
logie assurée, puisée dans des langues réelles, connues
plus ou moins, mais certainement connues, de
M"® Smith. En admettant que quelques-unes de mes
explications doivent être tenues pour forcées ou très
contestables, il en reste encore un assez grand nombre
de probables ou de sûres, pour que le résidu inexpli-
cable ne constitue qu'une infime minorité: il est donc
à présumer que ce résidu lui-même deviendrait ré-
ductible, si nous disposions de moyens plus puissants
ou plus sagaces pour pénétrer les secrets de l'élaboration
subconsciente à laquelle elle s'est livrée, et qu'il appa-
raîtrait dès lors qu'elle n'a point créé un seul mot
qui n'appartint d'ores et déjà à sa mémoire sous-
jacente. — L'homme, quand il le voudrait, n'inventerait
pas une langue : il ne peut parler, il ne parle qu'avec
ses souvenirs, immédiats, médiats ou ataviques.
2"* L'inconscience du procédé linguistique chez le
sujet parlant est une notion d'ordre élémentaire, qui
pourtant a bien de la peine à s'imposer à certains es-
prits. On l'accorde généralement pour le processus
phonétique, qui ne saurait en effet s'expliquer ni se
produire, si le sujet qui opère une mutation ne croyait
articuler ce qu'en fait il n'articule point. On l'admet
aussi, en principe, pour la morphologie; sauf à retirer
parfois en détail ce qu'on a accordé dans l'ensemble,
ou à laisser échapper encore quelqu'une de ces mons-
— 141 —
trueuses explications grammaticales, qui supposent
que le sujet opère sciemment un certain métaplasme
et prévoit dans l'avenir une certaine confusion qui ne
manquerait pas de se produire s'il ne l'opérait pas.
Quant à la syntaxe et à la sémantique, il semble
' qu'elles demeurent, dans le langage, le domaine réservé
à la conscience et à la volonté. Oui, pour le professeur
qui cherche à se faire parfaitement entendre, et qui
peine à trouver un tour clair, une image représentative ;
oui, peut-être, — car ceux-là sont déjà dans une large
mesure des spontanés lorsqu'ils sont sincères^ — pour
l'orateur et le poète, qui spngent à frapper les esprits
par un tour nouveau, une métaphore brillante; oui,
enfin, pour qui s'écoute parler, mais on conviendra
que tel n'est point le cas des millions de propos oiseux
qui s'échangent chaque jour. Et ceux-là, c'est le
langage, le langage réel et vivant ; le reste n'en est que
l'apparence élégante et figée. Or M"® Smith, — in-
consciente par définition, — employant la syntaxe
française parce qu'elle n'a pas la plus mince idée d'une
autre, mais connaissant partiellement quelques vocabu-
laires différents de celui du français, s'est créé un vo-
cabulaire spécial à l'aide de ces matériaux, retravaillés
par les même procédés sémantiques, métonymies, asso-
ciations, suggestions et contaminations (n"*^ 24-25), que
l'on constate dans les langues ordinaires. Le résultat
étant le même, il faut bien que le principe de formation
soit le même chez elle et chez le sujet parlant éveillé. —
Le langage est la consciente mise en œuvre d'un
système complexe de forces inconscientes, et ses anti-
- 142 -
nomies se résolvent par la considération de la conscience
de l'acte unie à Tinconscience du procédé ^ .
3** Discutant la formule de Darmesteter, suivant
laquelle le sujet parlant à ses débuts aurait « plus d'idées
que de mots », je proposais d'y substituer la formula
inverse « plus de mots que d'idées », et j'enseignais
que l'usage de la parole commence par un inconscient
bavardage, vaguement intelligible peut-être pour le
sujet parlant, mais à coup sûr intraduisible par lui et
pour les autres *. Et voici que le prodrome de l'appa-
rition du langage martien (FI. p. 149) a été une véri-
table explosion de syllabes étranges et de sons barbares,
jaillissant « avec une volubilité croissante », « jargon
incompréhensible », presque impossible à reproduire,
qui — cela va sans dire — n'a jamais été traduit ni
même répété dans la suite, mais qui présente déjà,
tout au moins, à un très haut degré, les caractères de
l'allitération et de l'assonance, distinctifs de la langue
postérieure qui en devait sortir. — Ainsi, en ce qui
concerne la genèse individuelle du langage, les con-
clusions qui se dégagent du martien ou de l'observa-
tion des jargons enfantins sont identiquement les
mêmes : tout langage commence par un gargouillis de
mots, entre lesquels et sous lesquels le sujet n'apprend
que plus tard à faire un choix et à mettre un sens
précis.
4° Et maintenant, s'il est vrai ce qu'on enseigne
couramment et ce que du moins la raison ne désavoue
1. Antinomies linguistiques ^ pp. 23 et 64 sq.
2. Antinomies linguistiques ^ pp. 50 et 55.
— 143 —
pas, que Tontogénèse est la reproduction exacte de la
phylogénèse, il ne nous est pas interdit de nous former
une représentation très vague des premiers débuts du
langage humain. Le cri animal, avant d'être un appel,
ne fut qu'un réflexe inconscient, et le langage en
procède, mais par une voie détournée: seul le cri
d'appel, l'interjection, chez l'homme, est la survivance
d'une animalité antérieure ; le langage proprement dit
a une autre origine, non moins mécanique, au surplus,
ni moins foncièrement étrangère au mécanisme de la
pensée. Bref, ce que nous nommons « le langage suivi »,
par opposition, à la simple exclamation, a dû débuter
par une éjaculation de sons quelconques, appropriés
naturellement à l'organe qui les émettait, mélopée
très probablement allitérante et assonante, gymnas-
tique pulmonaire et labiale, sous laquelle le sujet ne
mettait sans doute, et sûretnent ne cherchait encore à
faire comprendre à ses semblables aucun rudiment
d'idée. Avant d'être l'expression d'une pensée, le
langage a été un exutoire: pour les muscles pectoraux?
pour les cellules de la troisième circonvolution? C'est
aux physiologistes d'en décider ^ .
1. En dehors de ces considérations génétiques, le fait capital qui
se dégage, pour le linguiste, des observations de M. Flournoy,
c'est que tout fait linguistique, en tant qu'il a été une fois perçu,
DEMEURE dans la mémoire au moins subconsciente du sujet. Cette
donnée, pour n'être pas absolument nouvelle, est trop importante
pour qu'on ne tienne point compte, dans toutes les inductions
ultérieures, de la preuve éclatante que M"' Smith nous en a
fournie.
NOTES ADDITIONNELLES
Au n° 2 (p. 4, 1. 11). — J'entends « positiviste » au
sens d'adepte d'une méthode scientifique qui rejette
tout jugement préconçu et, à ce titre, s'impose à tout
enquêteur sincère, quelles que puissent être ses con-
victions philosophiques ou religieuses; car. du positi-
visme érigé lui-même en doctrine philosophique, j'ai
grand'peur, pour ma part, qu'il ne ressemble à la
grenouille émule du bœuf.
Au n^ 6 (p. 15, al. 2). — M. Flournoy n'avait pas
oublié de dire (p. 306, 1. 6) à quel âge M"« Smith
avait appris l'allemand : c'est en effet, entre douze et
quinze ans ; mais ce point m'avait échappé, ou du moins
n'avait laissé trace que dans ma mémoire subcon-
sciente.
Au n° 19, 1**. — Ce décalque va aussi loin que pos-
sible. Quel est, par exemple, le genre du mot érié
« âme »? Il doit être féminin. Il est vrai qu'il ne se
construit (FI. 6 et 20) qu'avec le pronom possessif
masculin êzi « mon » ; mais c'est qu'en français on dit
« mon âme »! Plus tard (FI. 31), lorsque la gram-
maire de M"® Smith a acquis un peu plus d'indépen-
dance, elle dit bé animinâ « sa existence ».
— 145 —
Au n** 27 (p. 59). — A ce sujet M. Flournoy a bien
voulu m'écrire (16 juin 1900) : « La déduction d'Ése-
nale- Alexis, desolitaire-éréduté, de tiziné-demain, etc.,
etc. , me semble absolument satisfaisante par sa par-
faite conformité aux processus coutumiers du rêve. »
On estimera peut-être que l'autorité qui me fait dé-
faut en matière psychologique est amplement suppléée
par cette précieuse approbation.
Au n® 31. — Ce qui complique la question, c'est
que mis est apparu le même jour que tivé, et même
quelques secondes auparavant, dans la phrase FI. 8 :
il n'en pourrait donc être dérivé qu'au prix d'un travail
préalable, subconscient et entièrement latent. En
somme, mieux vaut reléguer mis dans le résidu inex-
pliqué ; mais on remarquera qu'il est le seul mot très
usuel qui rentre dans cette catégorie.
Au n® 47. — D'une obligeante communication de
M. Flournoy il semble ressortir qu'on dit, à Genève
comme chez nous, « au revoir » lorsqu'on soigne son
langage, et « à revoir » lorsqu'on le néglige. Les
patois savoyards des environs disent ar^vi.
Au n" 106. — Ce mot est, pour mon essai, une grave
pierre d'achoppement, qui a failli, après coup, m'em-
pêcher absolument de le publier. On a vu, en effet,
à la préface, que M"® Smith a donné plus tard la tra-
duction des deux mots mile piri, et que cette traduc-
tion n'est point « mille fois », mais « vite encore ». Je
suis convaincu que, sur ce point, Ésenale se trompe
ou nous trompe; mais je n'ai aucun moyen direct de
le convaincre d'erreur ou de supercherie, puisque
10
— 146 —
jamais en aucune autre circonstance M^^* Smith n'a
proféré le mot martien qui équivaudrait à a vite », ni
celui qui équivaudrait à « encore ». Cependant, à
défaut de preuve catégorique contre cette traduction^
dé sérieuses présomptions en font suspecter la sincé7
rite : si mile piri, lorsqu'il a été prononcé, avait dû
réellement signifier « vite encore », quelle raison
aurait eue Esenale de ne pas le traduire sur-le-champ
avec le reste de la phrase, et de tenir si longtemps en
suspens un sens aussi simple? Il me paraît évident
qu'il — c'est-à-dire le subconscient de M"® Smith —
a passé ce temps à chercher un sens supplétoire qu'il
pût sans inconvénient substituer à la signification pri-
mitive, afin de ne point encourir le reproche de parler
français en martien. M. Flournoy, qui partage ma
conviction, a bien essayé une contre-épreuve; mais
Ésenale était sur ses gardes et ne s'est point laissé
surprendre (21 juin 1900). « Dimanche, dans une séance
où il y a eu de l'ultra-martien, après la scène habi-
tuelle de traduction, j'ai vivement insisté pour qu'Ése-
nale me traduisît le texte 19 : je le lui ai répété,' soit
entier, soit par fragments plusieurs fois ; à force *de
questionner, et au milieu de mouvements d'impa-
tience, après - de longs silences, comme si Ésenale
cherchait à se souvenir péniblement, il a murmuré :
(( ami, je ne puis te... vite encore adieu. » Tous mes
efforts pour obtenir le sens des autres mots, triné,
sandiné, etc., sont restés vains. Il en résulte pour
moi : V que des mots qui ont cependant paru plu-
sieurs fois en martien sont oubliés, ainsi que le sens
— 147 —
total de ce texte qui remonte • à près de trois ans ;
2® que, si M^^® Smith a traduit les premiers mots, ce
kiê mâche dé, c'est qu'ils comptent parmi les plus fré-
quents de la littérature martienne, ce qui fait qu'elle
ne les a pas oubliés; 3** que, si elle a aussi traduit
mile piri, qui ne se sont présentés que dans ce seul
texte, c^'est qu'une circonstance spéciale a gravé
ces à'Ttaî dans sa mémoire; cette circonstance spéciale,
c'est évidemment que ces mots lui ont déjà été rede-
mandés le 4 juin 1899, — où elle n'a pas pu les tra-
duire, — et le 10 septembre 1899, où elle les a
traduits par « vite encore ». Elle s'est souvenue,
dimanche dernier, du sens fourni le 10 septembre;
mais rien ne prouve que ce soit le sens primitif ; au
contraire. Et je ne vois aucun moyen de faire re-
trouver ou avouer à Esenale ce sens primitif... » La
question en demeure là : je crois ma traduction meil-
leure; mais je ne me dissimule pas qu'il y a outrecui-
dance de ma part à prétendre donner à M^^* Smith
une leçon de martien.
Au n® 110. — Le sk. nipuna est plus voisin; mais
il signifie « habile ». Quelqu'un m'a suggéré depuis
le fr. répugner y qui en eiïet a pu interférer.
Au n"* 134. — Il me parait plus probable que
ténassé a été suggéré tout entier, tel quel, par le fr.
tenace, qui est une épithète souvent associée à l'idée
de « volonté ».
Au n** 163. — : L'explication cadrerait également,
mais moins bien, avec le fr. laisser , non seulement à
cause du vocalisme, mais surtout parce que l'infinitif
— 148 --
2l\, lassen permet de rendre compte de Vn pénultième
du martien.
Au n^ 173. — Quelques informations sur des ques-
tions d'usage familier de la langue magyare m'ont été
fournies par mon collègue de Graz, M. H. Schuchardt,
que je remercie ici de son' amicale obligeance.
Au n"* 212. — Tout bien considéré, la personne qui
est ainsi « lancée », Tétant dans une disposition en-
thousiaste qui ressemble fort à Textase, a fort bien pu
tirer son verbe « lance » du fr. extasiée. Et cette voie
me paraît plus simple et plus sûre.
Au n^ 236. — Le prâcrit a des mots beaucoup plus
voisins encore du jargonnement sanscritoïde attamana,
soit p. ex. pk. atthamana = sk. astamayana, ou
pk. attamâna = sk. âvartamâna. Mais le sens ne con-
corde point du tout ; et puis nous n'avons pas le droit
de supposer que le sujet ait entendu des spécimens de
toutes les langues de Tlnde.
Au n"* 238. — Sans insister sur cette question inso-
luble, j'observe que M^^® Smith emploie son mot mira
dans des phrases (cf. FI. 18 et 31) où le sens « salut »
serait mieux à sa place que celui d' « adieu ».
Au n^ 254. — Toute cette pénible déduction est à
supprimer et à remplacer par la suggestion portée à
latin : mené « amie » est Tal. meine, et men « ami » en
est abstrait par suppression de la finale féminine.
Au n"* 287. — Tenant compte des modifications
apportées aux statistiques spéciales des chapitres IV-
XI par les additions ci-dessus aux n*"^ 212 et 254, on
voit que le lexique total de la langue martienne, non
— 149 -
compris les noms propres et les petits mots, se décom-
pose de la manière suivante :
1** Mots hypothétiquement réductibles au français seul. 110
2o — — — à. rallemand seul. 25
ô" — — — au magyar seul . . 55
4P — — — à l'anglais seul . . 3
5** — — — à une source orientale. 5
6° Contaminations diverses. 29
7** Dérivations des précédents 16
8° Résidu irréductible 5
Total 248
INDEX
[N. B. — On n'a pas dressé d'index martien: les chapitres
IV-XI, où les mots martiens sont rangés par ordre alpha-
bétique, en tiendront lieu. — On n'a pas non plus relevé les
petits mots qui font l'objet du chapitre III. — Les chiffres
renvoient aux n^^ entre parenthèses en caractères gras.]
ait 177
ameise 24?
ast 28
bedingen 243
bewohnea 287
blick 268
bringen 170
bruder 181
butler 251
ebeii 154
einige 12, 163
erde 72, 245
erinneru 159
I. Allemand
esel 27
flnden 8, 150, 151
freilich 246
fund 151
fûrwahr 246
geschraack 264
gniud 265
gut 155
handeln 12, 149
haus 12, 156
beuJe 267
himmel 160
hirn 161
hôhe 157
hund 85
iiiDig 88
je 158
klein 191
kummer 162
lassen 163
machen 164
mag 164
maou 165
raannig 25, 198
mehrere 242
meine 254
micbel 197
mittel 287
mutter 17, 166
oase 248
pelz 249
butter 251
good 155
kind, kindness.. 232
a- 241, 242
abondaut 40
académie 41
Alexis 27
aligné 253
alizé 42
ami, etc 247
aminci 87
âne 27
animé 43
antérieur 46
antique 46
à revoir 47
assigner 44, 65
assurer 129
attenant 133
Banat 50
battant 49
bas 51, 115
béni 52
bien 119
biillani U'5
bure %
calmer 9U
câpre 58
— 150 —
rasl 244
reden 169
scbmecken 264
scbnitt 153
schôn 152
II. Anglais
match 23:i
moihep. .. 17, 166
nor yet 234
III. Français
carreau 59
centenaire 128
chagrin 249
chèque 61
chéri 24,62
Chine 147
oœur 237, 262
consigner 44
dab 64
demain 260
demi 67
diminué 87
disant 66
discerner 69
divine 68
doctrine 139
du moins 71
dure 72
écrire 255
enchanteur... 15, 60
encourager 45
entré 97
entretenir 286
épine 24, 74
épris 73
so 250
taumel 172
irieb 171
voU 263
warten 266
verilv 246
Espagne. • 17, 75
esprit 55
essence 76
extasié 212
fin 77
fine 78
firme 79
forme r. .. 79
formidable 80
fougueux 80
fourmi 247
gamme 81
gaudir 82
grand 83
grève 84
habitant 54
hanter 85
heurter 112
hideux 105
idée 86
imprimer 55
instant 135
issue 57
jet d'eau 63
laisser 163
— 151 —
Lôopold 28
léser, lésion 94
ligne 253
luire, lumière.. . 95
lundi, lune 95
madame 99
mademoiselle. . . 102
maison 108, 156
mâle. 92
maman 107
masse 98
maternel 103
médiierranée — 100
merveilleux. 15, 101
mignon 88
mille ,. 106
mince 87
minet 88
minute 103
misère 105
modéré 70
monsieur 104
mort 77
myosotis 146
néant 284
nébuleux 111
obscurité 141
os 251
palliatif 113
pandit 240
paresse 115
parvenir 124
Pasteur 116
pavillon, etc 117
pénétré 97
pleurer 122
pleuvoir 122
poitrine 258
problème 123
puni 110
quatre 93
qui vive 91
raison 126
rameau 28, 206
rapide 114
réfléchir 126
réitéré 89
repasser 1J8
reprise 120
répugner 110
revenir 54
si Iô7
soie 259
solitaire 245
solution 123
sur 127
sûr 129
tableau 132
tamarix 130
tant 250
tapisserie 132
tenir... 131, 133, 133
tout ainsi 136
traînée 137
trajet 137
trimer 138
trompe 248
usé 140
venir 143
vers 252
vide 121
vieil 1//
viser, vision 144
voir 142. 252
vraiment 246
essere
IV. Italien
76 godere 82 lunedî
95
adja (Isten) 174
adni 174
âg 28
alacsony \ 178
âllani 253
aludni 218
âtmenni 175
V. Magyar
bâtya 181
benèzni 52
bibe 24, 179
bor 264
borisza 263, 264
botor 251
csacsi 27
csatiuâzni 204
csemege 227
csendes 184
csiga 226
dûhôsség 140
egész 188
éljen 185
éljenezni 186
élni 185
ézen allât 27
fia 180
garabô 192
gerend 265
gyermek 180
hàznemû 176
hiâuyjel 287
idô, idôs 189
i?y» igyen 187
ilyen 187
irni 195, 255
iromâny 195. 205
is 222
ivrét 190
Izrom 228
kicsiny 15, 191
kirics 183
kônnvù 191
lâm 193
lâtni 252
levôl 199
Lipôt 28
raadàr 204
magas 197
adhyâya .... 8
àtmàDam 25, 236
ganapaù 8
dvandva 8
— 152 —
màs, màsik 196
Maté 26
megnézgélni 194
megy 175
melly 258
menni 175
mész 175
mosojogoi 208
uéini 25, 198
név 223
nyerész 256
ohajtâs 267
parittyâzni 212
pederedni 202
pedig 222
pillanat 268
repùl 114
selvem 259
sokâra 229
somojogrii 208
szera, szemôk. . . 207
szép 152
szlrmauyult 206
szirom 206
szîv 182, 262
szivesség 182
VI. Sanscrit
nipuna 110
panditâ 240
Pâniui 26
bhùvana 236
tàgas 209
tata 211
teljes 213
terjedui 214
tiz 260
tôbbre 217
torvény 210
tôvet 216
tnzes 215
ûgye 261
ùgyelni 266
ùgyész 261
uradalom 257
ûrhadi 257
usztatàs 201
usziatni 201
ùzem 219
vadàsza 220
vârni 125
vôn 177
vidâm 221
villanat 268
virâny 225
viz 224
zamat 264
zsidô 205
mahât 197
sîmantini 8
sumanas 239
hrd,hrdà, hrdi.. 237
Chalou-sur-Saône. ^ Imprimerie Française et Orientale E. Bertrand.
STANFORD UNIVERSITY LIBRARtES
STANFORD AUXILIARY LIBRARY
STANFORD, CALIFORNIA 94305-6004
|415) 723-9201
DATE DUE
APR 1 8 21
MAR
9 200t
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